Fausse recette pour la religion

Les statistiques concernant la démographie religieuse en Suisse confirment une tendance bien repérée depuis le début du XIXe siècle: les Églises historiques, protestantes et catholiques, perdent des fidèles. Selon l’Office fédéral de la statistique, durant les dix dernières années, les catholiques sont passés de plus de 38% à moins de 34% de la population, les réformés d’un peu plus de 28% à un peu moins de 22%.

Devant de tels constats, il est de bon ton de se consoler en montant en épingle la ferveur individuelle ou les initiatives dans les domaines sociaux, voire écologiques, qui compenseraient, aux dires de certains responsables, la baisse des effectifs. Selon une croyance qui ici n’a rien d’évidente, la ‘qualité’ compenserait la ‘quantité’.

Je prends au mot cette balance discutable. La question se pose alors: pourquoi la ‘qualité’ –si qualité il y a– n’attire-t-elle pas davantage de pratiquants? Question toute naturelle aux vues de la ‘résistance’ d’un bon nombre de communautés évangéliques qui attirent aujourd’hui près de 6% de la population résidant en Suisse –sans parler de la progression concernant les Pentecôtistes et les Charismatiques, ni des communautés musulmanes, bouddhistes et autres, ni des courants spiritualistes, d’inspiration agnostique ou athée qui progressent également.

Rapportant ces données chiffrées, l’Office d’information catholique en Suisse (cath.ch) et ses homologues protestants expliquent ce phénomène socioreligieux par des considérations tantôt psychologiques, tantôt sociologiques, tantôt théologiques.
Considérations psychologiques en pointant que les Évangéliques proposent une vie communautaire et intergénérationnelle plus forte que les Églises historiques. Considérations sociologiques en notant, du côté des Églises historiques la perte de la prégnance des traditions familiales, et du côté des Évangéliques le besoin de repères moraux rassurants dans un monde où les relations familiales et sociales semblent éclatées. Pendant ce temps, les Églises historiques –les Réformées surtout– semblent se couler (dans tous les sens du terme) dans le courant culturel ambiant, perdant ainsi leur spécificité morale et spirituelle. Enfin, les explications théologiques mettent en valeur la simplicité –les théologiens parleraient sans doute de simplisme– et la clarté des lignes de pensées des Églises évangéliques, simplicité contre distinguée du salmigondis des diverses herméneutiques qui se chamaillent au sein des Églises historiques.

Bref, les Évangéliques présenteraient une identité autrement plus repérable que les Églises historiques, identité qui rend plus facile leurs témoignages de foi dans l’espace public. Comme chacun le sait, une identité repérable, en matière de pratique religieuse comme dans le domaine commercial ou politique, est la clef du succès.

Que conclure de ces informations ?

Deux postures sont possibles. D’abord celle qui consisterait à camper sur les positions traditionnelles au nom de l’identité ecclésiale. Au nom de la tradition, on s’accroche à ce qui semble être l’esprit des origines, se consolant comme on peut en montant en épingle les niches admirables de dévotion et d’œuvres significatives, confondues avec ce que le Concile Vatican II nommait les ‘signes des temps’.

Soit on se coule dans la logique politico-commerciale des journalistes ou de la sociologie religieuse, on peut alors cacher le principe sous-jacent à l’analyse (la recherche du pouvoir sur la société) derrière des mots dignes d’un cuisinier: Quelle est la recette (sic) de ceux qui gagnent des parts du marché religieux? C’est ainsi que cath.ch introduit son propos. C’est aussi le plus sûr moyen d’abandonner le champ religieux qui ne saurait se confondre avec le champ de bataille.

Entre ces deux postures, se cherchent diverses formes de discernement personnel.

 

Auteur:

Étienne Perrot sj est un jésuite de la Province d'Europe Occidentale Francophone (EOF) qui a vécu 15 ans à Genève (de 2001 à 2016), au sein de la communauté de Carouge. Il écrit régulièrement sur le site des jésuites de Suisse depuis 2013. Il est en outre membre du conseil de rédaction de la revue culturelle suisse choisir.
Étienne Perrot, né en 1944 dans le Doubs (France). Il a enseigné  l'économie et l'éthique sociale à Paris, et l'éthique des affaires à l'Université de Fribourg 3. Il a écrit plusieurs livres, notamment Esprit du capitalisme, es-tu là ? Derrière les chiffres, discerner l’humain, Bruxelles, Lessius 2020.

Newsletter

Das Magazin „Jesuiten“ erscheint mit Ausgaben für Deutschland, Österreich und die Schweiz. Bitte wählen Sie Ihre Region aus:

×
- ×