• Zurich, 2017 © pxhere/Thomas8047

Entre panique et confiance, le Crédit Suisse

Il est inutile d’épiloguer sur la faillite du Crédit Suisse. Sauf les dessous et les arrière-pensées des protagonistes – elles se révèleront certainement un jour – tout s’est étalé dans les journaux du 16 au 21 mars 2023: un des fleurons bancaires helvétiques (quarante-cinq mille employés répartis dans une cinquantaine de pays, mille trois cents milliards d’actif sous gestion à la fin de l’année 2022, rangée parmi la trentaine de banques mondiales qualifiées de ‘systémiques’ – car leur déconfiture provoquerait un effondrement dramatique de l’économie mondiale. Bref le pilier bancaire sur lequel gouvernements, particuliers, entreprises pouvaient compter comme on l’a vu durant la décennie 2010 au moment où sa rivale de toujours, l’UBS, chancelait sous le coup des obligations pourries venues d’outre-Atlantique, le voilà qui se dérobe à son tour. À douze années d’écart, les jeux sont inversés.

Il n’est pas besoin de rappeler les causes rapprochées de ce désastre. Depuis plusieurs années s’accumulent des problèmes de gouvernance, une hasardeuse gestion des risques, des placements dans des intermédiaires financiers aux promesses fallacieuses (Archeos, Greensill), entraînèrent de lourdes pertes qui provoquèrent, comme souvent dans de telles circonstances, une fuite en avant dans des spéculations de haut vol.

Plus récemment, l’environnement financier rendu plus incertain par la hausse brutale des taux d’intérêt des principaux banquiers centraux (qui a provoqué la baisse de valeur des obligations détenues par les banques et a conduit certaines à une crise de liquidité – alors qu’elles restaient solvables à long terme), liée à la hausse des prix et assortie d’un ralentissement sensible du secteur électronique – contre-coup de l’euphorie provoquée par les besoins liés à la pandémie du Covid-19 – ont mis à terre quelques banques américaines de taille moyenne, celles dont la surveillance prudentielle étaient déficiente (notamment Signature Bank – spécialiste des crypto-monnaies –  et Silvergate), dont la plus connue est la Silicon Valley Bank (SVB). Une grande banque américaine First Republic est elle-même en danger, au point que onze banques US sont venus à son secours en lui prêtant à des conditions avantageuses trente milliards de dollars – ce qui n’a pas empêché First Republic de chuter en bourse dès le lundi 20 mars 2023.

Certes le Crédit Suisse n’a pas de lien organique avec ces banques américaines; mais, dans le marigot de la finance mondiale, la faillite de quelques-unes jette la suspicion sur toutes les autres, telle une pomme pourrie dans un sachet de belles pommes.

On connaît l’aboutissement de ce vent de panique. Comme toujours en pareil cas, les plus solides absorbent les plus fragiles. On se souvient de JPMorganChase rachetant Bear Stearns puis Washington Mutual en 2008, Bank of America mettant la main sur Merrill Lynch l’année suivante. Cette même année 2009 a connu la fusion des Françaises Caisse d’épargne avec Natixis-banque populaire et de BNP avec la belgo-hollandaise Fortis. Décidée sous la pression – et avec de grosses garanties – venues de la Confédération, assorties d’une avance de liquidité de cent milliards de francs suisses, le dimanche 19 mars 2023, fut décidée l’absorption du Crédit Suisse par l’UBS, pour un prix dérisoire (le tiers de la côte du Crédit Suisse le vendredi précédent) payable en actions d’UBS (ce qui a entraîné une baisse de près de 10% du titre UBS le lendemain, lundi 20 mars 2023). Quel gâchis ! Comme l’exprime une journaliste talentueuse: «Il y a de la colère, de la tristesse, de l'indignation, de la résignation…»

Derrière la colère, la tristesse, l’indignation et la résignation, j’épingle ce phénomène spirituel dont se nourrit toute relation – en particulier les relations financières.

La confiance. Elle a manqué.

D’abord chez les principaux actionnaires (Harris Associates qui s’est retiré en octobre 2022; en mars de cette année la banque nationale saoudienne qui déclare ne plus vouloir renforcer son investissement dans la banque), puis chez certains déposants qui ont retiré leurs dépôts.

La modernité occidentale a cru inutile la confiance, cet ingrédient nécessaire à tout ce qui porte sur l’avenir – au premier chef la finance –, mais gênant, car jamais parfaitement maîtrisé. Forts des mathématiques financières, des réglementations prudentielles, des politiques monétaires, les technocrates ont imaginé naïvement réaliser l’idéal du rationalisme du XVIIe siècle (Descartes, Pascal, Leibnitz, Grotius) et les promesses des Lumières du XVIIIe (Smith, Condorcet, Kant): gérer les phénomènes financiers, économiques, sociaux et politiques comme on peut gérer les phénomènes physiques. Du coup, dans la sphère financière les  ‘transactions’ – de plus en plus formalisées, rapides, sécurisées, anonymes – ont remplacé les ‘relations’ personnelles ; avec les effets que l’on voit.

Finalement, je trouve pathétique cet effort de nos gouvernants qui se répandent dans les médias pour affirmer que notre système bancaire est ‘solide’;

que, selon le ministre des finances en France, il n’est pas à la merci des errements d’outre-Atlantique, - c’était ce que prétendait UBS et d’autres banquiers helvétiques avant la déroute des ‘subprimes’ en 2007 «un phénomène circonscrit à l’immobilier américain» disaient-ils. Les politiques jurent aujourd’hui, la main sur le cœur, que la puissance publique garantira que chacun rentrera dans les fonds qu’il a déposé en banque. Le Président Joe Biden ajoute que les fauteurs d’erreurs, les ‘responsables’ seront punis. Comme s’il était facile, dans un système complexe, de désigner un coupable! – hors faute avérée, évidemment.

Pathétique en effet sont ces professions de foi de la part des politiques et responsables publics, car elles ne sont efficaces et reçues qu’en proportion de la confiance que l’on peut accorder à ceux qui les prononcent. Or, quand la politique se confond depuis trop longtemps avec la communication tous azimuts, quand il s’agit non pas de faire et de faire savoir, mais de savoir faire savoir – surtout si on ne fait pas grand’chose –, la confiance est difficile à restaurer. D’où la nécessité d’annoncer de gros chiffres: cinquante milliards jeudi, cent milliards dimanche, et davantage encore le lendemain. Sera-ce suffisant?

En est convaincu le Président de la Confédération, Alain Berset, soutenu dans cette conviction par le directeur de la FED, la banque centrale américaine, et la secrétaire d’État US à l’économie, le directeur de la Banque de France et la directrice de la Banque Centrale européenne qui, quelques jours auparavant, en signe de confiance dans la solidité des banques européennes, a encore augmenté de cinquante points de base (0,5%) ses taux directeurs. Huit jours plus tard (mercredi 22 mars 2023) la BNS lui emboîte le pas, déclarant que «la crise bancaire est finie».

J’en accepte l’augure. Mais je ne suis pas devin.

Je ne suis même pas certain que, en dépit du prix dérisoire et des garanties de l’État, UBS fasse une bonne affaire.

Et je ne peux émettre qu’un sourie approbatif au dessin de Patrick Chappatte dans Le Temps de mercredi dernier (22 mars): l’énorme cercueil du Crédit Suisse forçant l’entrée trop étroite de l’immeuble d’UBS au point d’en fissurer les murs.

Auteur:

Étienne Perrot sj est un jésuite de la Province d'Europe Occidentale Francophone (EOF) qui a vécu 15 ans à Genève (de 2001 à 2016), au sein de la communauté de Carouge. Il écrit régulièrement sur le site des jésuites de Suisse depuis 2013. Il est en outre membre du conseil de rédaction de la revue culturelle suisse choisir.
Étienne Perrot, né en 1944 dans le Doubs (France). Il a enseigné  l'économie et l'éthique sociale à Paris, et l'éthique des affaires à l'Université de Fribourg 3. Il a écrit plusieurs livres, notamment Esprit du capitalisme, es-tu là ? Derrière les chiffres, discerner l’humain, Bruxelles, Lessius 2020.

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