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«Enivrez-vous» clamait Baudelaire. Une injonction compassionnelle

Le numéro d'autmone 2021 de la revue jésuite choisir présente deux voies pour sortir de son quant-à-soi, aux retombées bien différentes et souvent ambivalentes: la compassion et l’ivresse. Il serait tentant de caricaturer: l’ivresse porterait à une fuite en avant désordonnée et égotique, tandis que la compassion mènerait à l’action efficace pour le plus grand bien de chacun et de tous. Le dernier choisir met de la nuance dans ces a priori.

Voir et agir en prochain

La compassion est une notion phare de la vie spirituelle et sociale. Confondue parfois avec l’empathie ou l’altruisme, elle indique à la fois une émotion face à la souffrance d’autrui et une action pour soulager cette souffrance. Elle est aussi pour celui qui la met en œuvre un moyen de donner du sens à sa propre vie. Pas question donc de s’en priver sous prétexte qu’aucun don n’est purement gratuit et que la réalité du terrain est propice aux ambivalences (voir les articles de l’économiste jésuite Étienne Perrot et des journalistes H. Prolongeau et M. Bettens) ! Les philosophes, éthiciens, théologiens et acteurs humanitaires ou sociaux qui participent à ce numéro se rejoignent sur ce point, même si leurs boussoles n’indiquent pas le même Nord.

Penseur influent de l’altruisme efficace, P. Singer présente ce concept-outil, savant mélange d’émotion, de raison et de calculs économiques, où l’essentiel est de répondre aux besoins du plus grand nombre, nonobstant les contextes culturels ou politiques. P. Bouvier, médecin expert en action humanitaire, souligne pour sa part qu’il n’y a pas de compassion sans respect de la personne et hors de la rencontre avec autrui : la réalité conduit ainsi forcément les acteurs sur le terrain à des choix douloureux. Quant aux jésuites K. White, directeur du Service jésuite des réfugiés auprès des Nations Unies, et A. Thomasset, doyen de la Faculté de théologie du Centre Sèvres, ils rappellent que nous sommes tous interconnectés par notre humanité et que la compassion, qui traverse toute la Bible, est une vertu morale qui nous presse à ajuster notre regard et nos gestes sur le Christ. La science d’ailleurs s’intéresse aujourd’hui aux mécanismes de motivation fondée sur des valeurs religieuses ou spirituelles qui poussent certaines figures du monde à dédier leur vie à autrui (Cl. Girardot).

Le culte de l’ivresse

Dans son second dossier, la revue se demande si l'ivresse ne serait pas aussi une manière de mieux habiter le monde ? Là encore les précisions sont de mise. D’ordre spirituelle (sa plus noble robe), l’ivresse a nos faveurs quand elle se transforme en expérience libératrice qui permet d’habiter plus pleinement le monde (Th. Collaud). Plus charnelle, l’ivresse due au vin n’en était pas moins considérée chez les Anciens comme un état privilégié pour accéder au divin (N. Graff) ou chez les artistes à leur muse. Bien de poètes ou de romanciers en mal de vivre ont ainsi signé avec l’alcool un pacte infernal (L. Bordenave). Et que dire de l’instrumentalisation de l’ivresse par les pouvoirs civils et militaires en temps de guerre, avec le cas emblématique de la France en 14-18 (St. Le Bras) ?

Ce numéro réserve d’autres surprises : une nouvelle de B. Mary Sahli sur, justement, un jeune appelé à la guerre de 14-18 ; une interview de Bruno Decharme, collectionneur d’art brut qui a effectué une importante donation d’œuvres au Centre Pompidou ; et un reportage photographique de Samuel Turpin sur l’impact de la crise climatique sur les Groenlandais. (photos de tête d'article) Bonne lecture !

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