1 / 6

«En prison, j'ai rencontré des gens merveilleux»

Le Père jésuite Helmut Schumacher sj a travaillé pendant six mois auprès de jeunes détenus du pénitencier de Rikers Island, à New York. Le projet Thrive for Life vise à redonner de la dignité aux prisonniers enfermés dans des conditions difficiles, tout en leur offrant des perspectives d'avenir. Dans cet entretien, le Père Schumacher nous parle de ce que signifie «être prisonnier» et des répercussions de l’incarcération.

Père Schumacher, à quoi ressemble la situation dans la prison américaine de Rikers Island?

«Ce n'est pas seulement une prison: cette île de l'East River, située entre le Bronx et le Queens, abrite au total dix établissements pénitenciers relevant de la juridiction de la ville de New York. Le complexe est cinq fois plus grand qu'Alcatraz, dans la baie de San Francisco. Avec jusqu'à 17’000 détenus, c'est la plus grande prison du monde. Et les conditions d’incarcération y sont exécrables. Jusqu'à 80 hommes s'entassent dans un immense dortoir, avec seulement un lit et une boîte contenant leurs affaires personnelles. Il n'y a aucune intimité, tout est visible à tout moment.»

Avec quels personnes avez-vous été en contact durant votre travail?

«Auprès de détenus âgés d'une quarantaine d'années ou moins, dont certains avaient déjà passé 20 ou 25 ans derrière les barreaux et vivaient depuis longtemps dans ces conditions.»

Quel crime avaient-ils commis pour être condamnées à plus de vingt ans de prison?

«La gravité de leurs délits était très variable. Mais les Américains font peu de sentiments lorsqu'il s'agit d'enfermer les délinquants, même s'ils sont encore très jeunes. S'ils ont aujourd'hui 40 ans et qu'ils y sont restés 25 ans en prison, il est facile d'imaginer l'âge auquel ils ont été incarcéré. Ces personnes passent la fleur de l'âge dans ces conditions terribles.»

Qu'avez-vous pu personnellement faire pour eux?

«Le projet Thrive for Life, en français «Faire s'épanouir la vie», s'appuie sur deux piliers, «behind and beyond prison»: behind, c'est-à-dire derrière les murs de la prison, nous rendons visite aux personnes incarcérées en qualité d'aumôniers, nous proposons des discussions, nous prions ensemble. Le samedi, nous organisons une journée de réflexion avec une rétrospective de la semaine, une conversation biblique, un déjeuner en commun, une messe et nous consacrons beaucoup de temps à la discussion et à l'écoute. Ici, nous considérons que notre tâche consiste avant tout à donner de l'espoir aux gens afin qu'ils puissent tenir le coup durant leur séjour en prison.

Beyond désigne la perspective que nous offrons après la détention. C'est dans cette optique que la maison Ignatio a été transformée: les prisonniers libérés peuvent y emménager et suivre une formation professionnelle. Certains en profitent même pour faire des études. Nous voulons leur offrir un havre de sécurité après les terribles expériences qu'ils ont vécues derrière les barreaux, un lieu dans lequel nous les accompagnons sur le chemin du retour à une vie normale, pour nous du moins.»

Qu'entendez-vous par-là ?

«Eh bien, il y a d'abord la technologie, qui n'était pas à l’époque de leur incarcération aussi développée qu’aujourd’hui : e-mails, smartphones, Internet. Mais plus important encore, les personnes libérées doivent passer par tout un processus intérieur : elles ont grandi toute leur vie enfermées derrière des barreaux.»

Quel effet cela produit-il sur ces personnes?

«Cela les rend inutile. Pas concrètement, bien sûr, mais elles se sentent sans valeur. Bien loin d'une créature de Dieu dotée de sa liberté et de sa propre responsabilité. En prison, tout est interdépendant avec ceux qui vous entourent. Il est pratiquement impossible de décider par et pour soi-même. Et il faut réussir à le supporter, comme par exemple le fait que son père ou sa mère puisse décéder à l'extérieur sans avoir la possibilité de les revoir. Ce type de situation a un impact sur la personnalité, cela ne fait aucun doute. Il est donc d'autant plus important pour les anciens détenus d'identifier ce qui leur a manqué derrière les barreaux.»

Que voulez-vous dire?

«Ce qui leur manque avant tout, c'est la capacité de prendre des décisions. Avoir la liberté de faire telle ou telle chose et de développer un chemin cohérent pour eux. Il s'agit d'une évolution tout à fait normale dans la vie courante lors du passage à l'âge adulte. Mais la prison ne laisse pas de place pour cela. Après leur libération, il est d'autant plus important pour ces anciens détenus de réussir à trouver leur rôle dans la vie et de la mener de manière responsable vis-à-vis d'eux-mêmes et des autres. Dans le domaine de l'amour et des relations amicales également, certains doivent partir de zéro après leur détention. La maison Ignatio s'efforce de créer un environnement sécurisant pour ce processus, ainsi qu'une atmosphère propice à l'estime de soi, au respect et à l'amour. La prison représente exactement le contraire!»

Quels sont les retours que vous aviez eu sur votre travail?

«Les retours ont presque toujours été positifs. Je pense que cela est dû au fait que les gens sentent que nous les prenons au sérieux et que nous les valorisons. Nous nous efforçons de leur proposer tout le contraire de leur quotidien en prison: nous prenons en compte la personne concrète, nous nous consacrons à l'individu. Ils s'en réjouissent, se sentent pris au sérieux et valorisés; les visites représentent également une agréable bouffée d'oxygène. En outre, de nombreux détenus viennent d'Amérique latine et ont un rapport plus étroit avec la prière, avec l'Église catholique.»

Comment vous êtes-vous retrouvé à Rikers Island?

«J'ai demandé au provincial si je pouvais passer quelques mois à l'étranger avant le Troisième An et j'ai commencé à chercher des projets. Le fondateur de Thrive for Life, le Père Zachariah Presutti sj, m'a dit très simplement: bien sûr, viens nous rejoindre.»

«En prison, j'ai rencontré beaucoup de gens merveilleux»

Aviez-vous une attirance particulière pour le domaine de l'aumônerie pénitentiaire?

«J'étais déjà attiré par l'environnement carcéral aux États-Unis. Mais il est encore plus important pour moi de me confronter en toute conscience aux marges de la société et de me rapprocher des gens qui y vivent. J'ai rencontré tellement de gens merveilleux en prison: malgré les circonstances terribles et des histoires souvent difficiles, particulièrement à travers le projet Beyond après la détention, les détenus et anciens détenus souhaitent vraiment donner un nouveau souffle à leur vie, se remettre sur le droit chemin et trouver leur place.»

Souhaitez-vous continuer à travailler dans le domaine de l'aumônerie des prisons après le Troisième An?

«Je me laisse encore du temps pour décider. Je vais d'abord partir en Ouganda pour travailler auprès de réfugiés, puis je passerai mon Troisième An au Liban. C'est mon entretien avec le provincial qui dévoilera ma future mission.»

Auteur:

Helmut Schumacher SJ

Le Père Helmut Schumachee, originaire de Besten (Ems, Autriche), a obtenu un diplôme de l'école supérieure de commerce et d'administration, s'est spécialisé dans la vente et a travaillé pour une société commerciale. Il a étudié l'éducation religieuse, la philosophie et la théologie, en tant que représentant du diocèse d'Osnabrück, à l'Université St. George à Francfort. Il a passé une année à la faculté de théologie catholique d'Innsbruck et a été ordonné prêtre en août 2009, où il était vicaire dans la ville de Melhe. Après avoir terminé son noviciat, il a été le directeur de la pastorale des jeunes "MK" à Innsbruck (Autriche) de 2014 à 2016.

Newsletter

Das Magazin „Jesuiten“ erscheint mit Ausgaben für Deutschland, Österreich und die Schweiz. Bitte wählen Sie Ihre Region aus:

×
- ×