La décolonisation s’inscrivit d’abord dans le champ politique. Il s’agissait avant tout d’asseoir la souveraineté sur une population dans un territoire. Quitte à adopter les frontières, parfois absurdes, laissées par le colonisateur. Puis l’on chercha par des alliances de moins en moins léonines à obtenir une autonomie économique, sans laquelle il n’y a pas de développement ni d’indépendance réelle. Mais, très vite, se fit jour une autre revendication. Il s’agit alors de se réapproprier une histoire et une culture sans lesquelles il n’est pas de véritable ‘vivre ensemble’. L’interdiction farouche d’exporter illégalement des objets d’art ou des artéfacts reflétant les compétences du pays se fit de plus en plus sévère. Mais cela n’a pas été suffisant. C’est dans ce courant nouveau que se manifesta, de plus en plus nettement, le désir de voir rentrer dans le patrimoine du pays ce qui en avait été pillé au temps de la colonisation.
Depuis longtemps, la Grèce réclame au British Museum le retour dans leur pays d’origine des frises du Parthénon. J’épingle le refus explicité par le musée anglais, tel qu’il est présenté par un éditorial du Temps :
«Les marbres sont à nous… Légalement volés (sic)… Peut-être pourrions-nous envisager le prêt de quelques-unes des frises, en échange d’autres trésors…»
L’éditorialiste trouve ces raisons spécieuses, et révoltants les prétextes pour ne pas rendre ces marbres. Je ne peux qu’être d’accord, car, sauf à accepter l’inacceptable, la réponse du British Museum n’est que l’application de la loi du plus fort. Quand la force crée le droit, il n’y a plus de justice.
Si les journalistes et les agences de presse ont bien effectué leur travail, le conservateur du musée anglais justifie la propriété sur un argument fallacieux. Car justement, il est question de loi présentée de curieuse manière. Ces marbres seraient la propriété du British Museum sous prétexte qu’ils ont été «légalement volés». Je ne connais aucune loi d’un pays civilisé qui autorise le vol. Certes, les lacunes du législateur permettent aux filous de tirer parti les failles de la loi, d’autant plus facilement que l’accumulation des décrets, règlements, rubriques et procédures ouvrent la carrière de nombreuses contradictions. On veut protéger les uns … et on spolie les autres.
Puisque les responsables du British Museum prétendent que le musée est dans son bon droit, de quelle loi s’agit-il? Manifestement ce n’est pas de la loi du pays de leur légitime propriétaire, la Grèce. Mais de la loi du colonisateur.
Tout cela me fait penser à la fable de La Fontaine où le Lion ramasse pour lui tous les morceaux en déclinant toutes les bonnes raisons de s’approprier le bien d’autrui:
«Je prends la première part parce que je suis le plus fort».
Cet état de fait est un piètre argument.