Des dérives «socialement et politiquement dangereuses»

En 2019, Facebook avait annoncé son intention de lancer une crypto-monnaie, la Libra (en latin, la Balance), destinée à quelques deux milliards d’utilisateurs potentiels de par le monde. À l’époque du Big-data où les informations utiles pour les publicitaires sont issues massivement de statistiques, le bénéfice aurait été grand pour les maîtres du système, mais pas pour les citoyens soucieux de préserver leur vie privée. La confidentialité des données polarise en effet l’attention de la société civile. D’autant plus que Facebook fut épinglé auparavant pour avoir vendu des données commerciales puisées auprès de ses utilisateurs. Finalement le projet Libra a été remis sine die devant le blocage des autorités de régulation américaines notamment (non sans arrière-pensées).

Aujourd’hui, Facebook affronte des critiques mieux ciblées, qui annoncent des prolongements politiques et règlementaires. Ces critiques ne concernent pas seulement les annonces litigieuses que laissent passer la plateforme (recrutements discriminatoires contre les gens de couleurs, ou excluant certains profils de familles) et qui sont en Europe des délits pénaux. Ces critiques visent les effets culturels et sociaux de ce que les économistes nomment l’effet de réseau.

Ces dérives de Facebook sont actuellement mises en pleine lumière par une lanceuse d’alerte, Frances Haugen, venue de l’intérieur de l’entreprise. Frances Haugen est bien décidée à freiner ces pratiques socialement et politiquement dangereuses. Pour mettre les européens dans le coup, Frances Haugen fait actuellement le tour des capitales du vieux continent, Bruxelles, Londres, Berlin, Lisbonne. Mercredi dernier 10 novembre 2021, elle était à Paris pour y rencontrer les membres de la Commission des lois et de la Commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, avant d’être entendue par le Sénat.

L’un des problèmes soulevés par la lanceuse d’alerte est celui du fonctionnement de la Plateforme, qui pousse les Internautes utilisant Facebook à rejoindre des groupes aux sensibilités et aux centres d’intérêt homogènes, en les attirant par des contenus extrêmes.

Facebook semble avoir voulu placer un contre-feu puisque l’entreprise vient d’annoncer qu’elle mettra un terme, en janvier prochain, au ciblage publicitaire lorsque le thème est «sensible». (Le ciblage publicitaire consiste à orienter les publicités -principale source de revenu pour Facebook- vers les Internautes en fonction des sites ou des encarts publicitaires que ces Internautes ont déjà visionnés.) L’entreprise compte ainsi supprimer des milliers de «catégories d’intérêts» qui sont autant de produits d’appel pour les publicitaires.

J’épingle le terme «sensible». Le communiqué de presse évoque l’orientation sexuelle, le regroupement religieux, la mouvance politique, et, bien sûr, la race. (Oups! pardon, on parle maintenant d’ethnicité). Si donc j’ai regardé le site de l’Église réformée Protestinfo, le système ne me servira plus automatiquement des vidéos protestantes, ni même religieuses. Il faudra que je décide moi-même d’y revenir. C’est un petit inconvénient pour moi; c’est un gros inconvénient pour les annonceurs. Mais ces inconvénients me semblent moins dirimants que l’avantage pour la société. Si la pratique correspond à ce que l’entreprise annonce, cela évitera le phénomène pervers qui enferme chacun dans l’idéologie de son groupe, et permettra peut-être de freiner un peu la montée aux extrêmes.

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