• Place Nelson Mandela à Niamey, un plaque rongée par la rouille @ UNIGE/Frédéric Giraut

«Dénommer le Monde», la nouvelle chaire UNESCO de l'UNIGE décryptée

«Dénommer le Monde» tel est le titre de la nouvelle chaire UNESCO en «toponymie inclusive» à l’Université de Genève (UNIGE). Les enjeux, politiques d’abord, puis culturels, sont évidents. Depuis toujours, on nomme les lieux (c’est la signification du mot toponymie) du nom d’un personnage ou d’événements célèbres, souvent qualifiés abusivement de «fondateurs». C’est une sorte de mémorial chargé de soutenir la mémoire du peuple. La raison en est d’abord politique -ça, toutes les historiennes et tous les historiens le savent. On prétend vouloir s’inspirer ou prolonger l’initiateur en le gravant, sur plaque de métal ou sur la pierre, dans la mémoire. C’est l’illusion habituelle. On se paie de mot au nom de la culture mémorielle qui pense exorciser les vieux démons ou ressusciter les anges en les nommant.

Cette chaire en toponymie, se qualifie d’inclusive. C’est bien dans l’air du temps. Deux interprétations peuvent être données à ce qualificatif. Les études menées par les chercheurs et chercheuses rattaché·e·s à cette chaire ne s’intéresseront pas exclusivement aux grands hommes, mais ils seront attentifs également aux femmes, aux minorités et surtout aux dénominations populaires des lieux, autant qu’à leurs désignations officielles. Par ailleurs, sous l’égide de l’UNESCO, elle ne pourrait exclure aucun pays, notamment en développement.

Certains noms de lieux s’imposent par l’usage, et font oublier les dénominations enregistrées par l’Administration. Le communiqué de presse de l’UNIGE illustre le propos en montrant à Niamey la plaque désignant la place Nelson Mandela rongée par la rouille pendant que la pratique locale utilise l’expression Carrefour de l’hôpital. La désignation populaire de certains quartiers -le quartier de la goutte d’or à Paris, celui des Hauts-du-lièvre à Nancy, celui des Minguettes à Lyon- permettent aussi d’éclairer certains pans de la sociologie urbaine. Inversement la place de l’Étoile au sommet des Champs Élysées à Paris n’a pas pu lutter victorieusement contre sa nouvelle désignation: place du général de Gaulle.

Le marketing commercial a trouvé ses avantages dans une utilisation judicieuse de la toponymie. Dire que tel fournisseur ou tel commerçant a ses assises à Paris, à Tokyo ou à New-York, cela résonne quand-même mieux que d’avouer qu’il n’est que de Vierzon, de La Porcherie (sic) ou de Galena. Même lorsque rues et avenues ne sont désignées que par des numéros, comme à New York, l’intérêt n’est pas mince de rechercher quelle culture, quels soucis, quelle logique sous-jacente se sont imposés, à quel moment et sous l’influence de qui.

J’ajoute deux sous dans la musique. Les noms de lieu peuvent devenir obsolètes. Les hommes illustres s’estompent des mémoires en dépit de leurs plaques marquant les rues; d’autres, en revanche, se révèlent abominables, plus tard -beaucoup trop tard aux yeux de qui a soulevé le pot-aux-roses- au point de ne plus mériter d’être placardé dans l’espace public. Ce qui se passe depuis quelques temps pour les statues de personnages aux relents colonialistes Churchill, Jules Ferry, se déroule également pour les noms de rue ou même d’Université. Lyon s’est enorgueillie durant plusieurs années de posséder une faculté de médecine placée sous le patronyme d’un illustre Prix Nobel de médecine lyonnais, le docteur Alexis Carrel. Ce médecin fut honoré également par des «rue Alexis Carrel» ou des «avenues Alexis Carrel» dans de nombreuses villes françaises… jusqu’au moment où l’on s’est cru obligé de caviarder le nom lorsqu’on s’est aperçu que l’illustre médecin Prix Nobel avait ardemment milité, avant-guerre, pour l’eugénisme en faveur de la race blanche. (Il aurait suffi de lire son livre le plus vendu L’homme cet inconnu, paru en 1935, pour voir l’eugénisme sans fard de son auteur).

J’ajoute que certains noms de lieux se réfèrent à des événements qui n’ont jamais eu lieu. Le nom de la rivière Doubs procède, selon la légende populaire, d’une parole historique de Jules César, qui n’a jamais été prononcée. Arrivant devant cette rivière dont il ignorait le sens du courant, et répondant à l’un de ses lieutenants qui lui demandait si la rivière coulait en direction du Nord, César aurait répondu (en latin) Dubio (je doute), d’où le nom du fleuve. Inversement, des événements du passé ont été subvertis par l’usage populaire. Au nord de Clermont-Ferrand, le village Saint Hilaire-la-Croix, tient son nom de «lac rouge» à cause d’un événement sanglant perpétré au XVII° siècle par des brigands sur les habitants du pays. Comme quoi la toponymie inclusive de l’UNIG a du pain sur la planche.

 

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