En 1997, la loi fédérale contre le blanchiment d’argent a renforcé dans les milieux bancaires une tendance générale qui s’impose désormais dans tous les secteurs de l’économie. Il faut contrôler strictement l’application des loi, décrets, normes, protocoles, procédures et rubriques. Nul métier n’y échappe, depuis l’exploitation minière jusqu’à la recherche électronique en intelligence artificielle en passant par l’exploration spatiale et la production des lessives. Cette stricte application a pris, dans les pays anglo-saxon –puis, par contagion– dans tous les pays occidentaux, le nom de ‘compliance’. La traduction de compliance par le mot français ‘conformité’ en affaiblit le sens. Car la racine (française) du mot compliance est ‘complaire’, attitude qui ne se contente pas d’obéir aux ordres, mais qui pose le primat du législateur sur la volonté des administrations, des entreprises et de leurs employé(e)s.
La raison de cette domination se résume en un mot, le risque. Pour les banques et intermédiaires financiers, risques opérationnels et juridiques autant que financiers – sans parler des risques d’image. Il ne s’agit pas seulement de ‘connaître son client’ mais l’ayant-droit économique réel. C’est la raison pour laquelle des centres de formation tentent de répondre à cette nouvelle demande. Ainsi, depuis plus de vingt ans, l’Université de Genève propose des formations à la compliance pour les milieux bancaires. En conjuguant les apports de professionnels de terrain et d’universitaires, ces formations aident les personnels à ‘se plier’ (on retrouve ici le mot compliance) aux exigences règlementaires.
L’idée de ‘compliance’ déborde celle que s’en fait généralement le pandore ou le shérif qui appliquent bêtement les textes sous prétexte que ‘la loi, c’est la loi’. Car la compliance ne place pas seulement chacun devant un texte, mais devant la volonté d’un législateur qui a une responsabilité plus large que celle de l’employé fidèle à son métier particulier. Problème que les juristes, conseillers, juges, avocats, fiscalistes connaissent bien. Seule une vision naïve se permet de croire que tous les cas peuvent être prévus par les textes. Que faire lorsque les textes ne répondent pas adéquatement à la situation ? Lorsqu’il y a de quoi hésiter, face aux dilemmes où chacune des options présente des bons et des mauvais côtés. Bref, lorsque la réponse ne vient pas d’en haut, que faire ?
C’est là qu’une formation au discernement est nécessaire. Cette formation peut prendre la voie de l’assessment, mot anglais qui signifie ‘évaluation’, souvent utilisée pour le recrutement de collaborateurs.
L’assessment est un exercice qui consiste à mettre chacun devant des dilemmes, des situations dont il ne trouvera pas la solution dans les manuels, et qui oblige à faire fonds sur l’imagination, le jugement prudentiel, et pas simplement sur les connaissances, aussi nécessaires soient-elles.
Jadis, ce type d’évaluation et de formation était réservé aux cadres supérieurs; car les subordonné(e)s étaient supposé(e)s n’être que le prolongement docile de la direction pensante. Mais, dans un monde complexe où les logiques écologiques, sociales, économiques, financières, gouvernementales se croisent dans la plupart des situations, les dilemmes naissent quotidiennement, et la responsabilité de chacun est alors engagée.
La solution piteuse consiste à fuir les dilemmes, à ne jamais les trancher. Ainsi ce mot entendu un jour d’un ‘Compliance officer’ d’une banque de la place de Genève:
«S’il y a un doute, c’est qu’il y a un risque. Et, s’il y a un risque, c’est non!»
Un tel refus systématique du risque non seulement laisse échapper des opportunités favorables, mais surtout témoigne d’un réel mépris pour soi-même autant que pour son environnement de travail et pour la société.