Ces "écoloclastes" qui prétendent alerter le public

Le peintre Roger Vlaminck a dit un jour qu’il fallait brûler les musées. La raison? Les musées ne sont que des cimetières, qui renferment quelques résidus de vies mortes du passé. C’est sans doute ce qui taraude inconsciemment les violents écologistes d’aujourd’hui. Ils opposent la vie à venir, celle d’une maison commune où il fera bon vivre, où –comme le souhaitait sans doute Vlaminc – il sera plus agréable de tenir en sa main une fleur, de s’approprier intérieurement le bon goût du miel de lavande, de sentir un bouton d’aubépine… que de contempler les Tournesols de Vincent Van Gogh.

Pour montrer leur préférence pour la vie à venir plutôt que pour les œuvres d’art du passé, ces écologistes violents s’attaquent, soupe à la tomate en main (de marque Heinz, pour celle que des médias ont montrée, merci pour la publicité) ou pulvérisateur de peinture à la ceinture, aux bas-reliefs, statues et tableaux de maître authentifiés par les conservateurs (au nom prédestiné, pensent-ils) des musées. Comme les iconoclastes du IVe siècle de notre ère, ils estiment que les imaginaires désuets objectivés sur la toile, le bronze ou les murs détournent les consciences de l’urgence vitale (écologique) de l’heure. À l’époque, les iconoclastes refusaient de voir figer sur un support matériel un Dieu qui n’est qu’esprit (et, pour les chrétiens, fauteur d’espérance).

Ces écoloclastes (contraction des mots écologistes et iconoclastes) prétendent alerter le public. Les médias s’y sont laissé prendre, comme à tout ce qui est spectaculaire ou choquant. Les écoloclastes espèrent peser ainsi sur les gouvernements. L’incendie industriel qui sourd depuis bientôt deux siècles détruit la maison commune. Les flammes sont désormais visibles. La situation exige quelques décisions radicales que les gouvernements tardent à mettre en œuvre. La maison brûle, il est vrai; nul ne l’ignore (sauf ceux qui, atteints par le syndrome de certains vieillards, pensent que «ça durera bien autant que moi»).

Utiliser le vandalisme ou toutes sortes de moyens violents pour exprimer son indignation devant la trop lente réactivité des gouvernements face au désastre écologique, c’est un moyen congru pour réveiller l’opinion public dans les pays –de plus en plus rares– où les électeurs ont encore du poids. Ce moyen a l’avantage de donner bonne conscience à ceux qui le manient. Mais je crains qu’il soit contreproductif. Car,

en associant l’écologie à la violence, il détourne de la juste cause une majorité des citoyens qui n’aspirent pas à vivre dans une société dominée par les violents –fussent-ils écologistes.

Mais pourquoi s’en prendre aux œuvres d’art? L’histoire de la pensée occidentale depuis les Lumières autorise une réponse. À la charnière des XVIIIe et XIXe siècles, dans la foulée de la pensée nouvelle, à l’aube du mouvement romantique ancré dans le rationalisme individualiste régnant, le commerce, la philosophie et l’art se présentaient comme les vecteurs d’un lien social, parfaits substituts de la religion fauteur de divisions et désormais obsolète. Trop à gauche pour tenir compte du commerce, trop peu intellectuels pour se fier à la philosophie, les écoloclastes voient peut-être dans l’art le seul concurrent restant qui puisse encore s’opposer à l’intérêt général qu’ils prétendent incarner. Si la violence prétend imposer sa voie, c’est sans aucun doute par peur d’avoir à tenir compte des situations particulières, les unes peu défendables il est vrai, les autres nécessaires à respecter sous peine d’injustice envers les plus fragiles de la société d’aujourd’hui.

Auteur:

Étienne Perrot sj est un jésuite de la Province d'Europe Occidentale Francophone (EOF) qui a vécu 15 ans à Genève (de 2001 à 2016), au sein de la communauté de Carouge. Il écrit régulièrement sur le site des jésuites de Suisse depuis 2013. Il est en outre membre du conseil de rédaction de la revue culturelle suisse choisir.
Étienne Perrot, né en 1944 dans le Doubs (France). Il a enseigné  l'économie et l'éthique sociale à Paris, et l'éthique des affaires à l'Université de Fribourg 3. Il a écrit plusieurs livres, notamment Esprit du capitalisme, es-tu là ? Derrière les chiffres, discerner l’humain, Bruxelles, Lessius 2020.

Newsletter

Das Magazin „Jesuiten“ erscheint mit Ausgaben für Deutschland, Österreich und die Schweiz. Bitte wählen Sie Ihre Region aus:

×
- ×