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Béatification au Salvador: un symbole important pour le peuple

Le prêtre Rutilio Grande sj a été béatifié samedi 22 janvier dernier. C'est un symbole important pour la population, explique le jésuite allemand Martin Maier sj, directeur général depuis 2021 de l'organisation humanitaire latino-américaine Adveniat à Essen et qui fut professeur invité à l'Université centraméricaine de San Salvador. Il rappelle que Rutilio Grande sj a consacré sa vie à la lutte contre la pauvreté.

Le Père Martin Maier sj était présent à la béatification de samedi. Peu avant, Ina Rottscheidt de DOMRADIO.DE s'était entretenue avec lui sur cet événement majeur pour le Salvador.

DOMRADIO.DE: Vous avez longtemps vécu au Salvador et vous connaissez l'histoire de Rutilio Grande. Quelle signification sa béatification revêt-elle pour vous?

P. Martin Maier sj: La béatification de Rutilio Grande sj et de ses compagnons est pour moi synonyme d'une immense joie. C'est aussi une grande fête pour le Salvador et son église, car c'est la reconnaissance du parcours exemplaire de Rutilio Grande en tant que prêtre, ainsi que de son statut de martyr et du sacrifice de sa vie sur les pas du Christ et au service de la justice et des pauvres.
Il symbolise en quelque sorte le commencement d'un processus de mutation de l'église au Salvador. Au sein de la paroisse rurale d'Aguilares, il s'est efforcé de mettre en œuvre les décisions de la Conférence épiscopale de Medellín de 1968, au cours de laquelle l'Église d'Amérique latine s'est prononcée en faveur de «l'option préférentielle pour les pauvres». Celle-ci a quelque peu modifié sa position et s'est engagée pour la justice et pour les pauvres à la suite du Concile Vatican II.
En outre, chez Adveniat, nous sommes également fiers d'avoir pu compter Rutilio Grande parmi nos partenaires de projet: nous avons découvert dans nos archives qu'il avait reçu 20 000 DEM en 1974, destinés à financer la construction d'un centre de formation, l'organisation de cours et l'achat d'un véhicule.

DOMRADIO.DE: Rutilio Grande est beaucoup moins connu à l'international que Saint Oscar Romero, l'archevêque de San Salvador abattu en 1980 durant la Sainte Messe en raison de son opposition aux puissants du pays. Malgré tout, on ne peut pas comprendre Romero sans Rutilio Grande. Pourquoi?

Maier: L'assassinat de Rutilio Grande et de ses compagnons a marqué un moment clé dans la vie de l'archevêque Oscar Romero. Il a longtemps affiché une direction conservatrice et souhaitait tenir l'Église à l'écart des conflits sociaux. Tous deux se connaissaient, mais Romero portait un regard parfois critique sur la pastorale de Rutilio Grande à Aguilares. Lorsque Grande a été assassiné le 12 mars 1977 et qu'Oscar Romero, qui venait tout juste d'être nommé archevêque de San Salvador, s'est retrouvé devant sa dépouille et celles de ses compagnons, un bouleversement s'est alors produit en lui: «Rutilio m'a ouvert les yeux», a-t-il déclaré ultérieurement. «S'ils l'ont tué pour ce qu'il a fait, alors je dois suivre le même chemin!»
Certains évoquent aujourd'hui une conversion de Romero, provoquée par cet assassinat. Et dans la tradition populaire, on parle même d'un «miracle de Dieu» comme élément déclencheur de l'engagement de Romero en tant que défenseur prophétique des pauvres.

DOMRADIO.DE: Aura-t-il fallu attendre un pape latino-américain pour voir la béatification de Rutilio Grande et de ses compagnons? Ce n'est pas un hasard si celle-ci, de même que la canonisation d'Oscar Romero en 2018, coïncident avec le pontificat du Pape François?

Maier: Le Pape François a fait de la canonisation de l'archevêque Romero et de la béatification de Rutilio Grande une préoccupation personnelle. En 2007, un prêtre salvadorien l'a rencontré lors de la Conférence des évêques d'Aparecida. À l'époque, il n'était encore qu'archevêque de Buenos Aires ; ils ont parlé d'Oscar Romero. Et Jorge Mario Bergoglio avait alors déclaré sur le ton de l'humour : « Si j'étais pape, je canoniserais Romero demain ! » À l'époque, personne ne pouvait entrevoir que cela se produirait un jour.
Mais en toute justice, il faut également mentionner que le Pape Benoît XVI, avant de démissionner, avait déjà posé des jalons déterminants pour la béatification d'Oscar Romero en 2015.

DOMRADIO.DE: Son biographe, le père Rodolfo Cardenal, décrit Rutilio Grande comme un homme d'un abord peu sûr de lui et silencieux, sans grand charisme. Qu'est-ce qui l'a poussé à se prononcer en faveur de la théologie de la libération -et ainsi contre le clergé- et à condamner ouvertement l'injustice et la violence dans son pays, s'opposant ainsi également à l'oligarchie?

Maier: Le Père Rutilio Grande a pris au sérieux les décisions de la Conférence épiscopale de Medellín en 1968: l'option préférentielle pour les pauvres. Et il a également pris au sérieux le programme que la Compagnie de Jésus – dont il faisait également partie – a adopté suite au Concile Vatican II, c'est-à-dire l'association de l'annonce de la foi et de la lutte contre l'injustice: foi et justice – telle est l'apostrophe que les jésuites considèrent comme leur mission dans le monde d'aujourd'hui. C'est cela qui a déclenché en lui divers processus et qui l'a changé au plus profond de son être.

DOMRADIO.DE: Pour le peuple salvadorien, que signifie la béatification de deux laïcs en plus de Rutilio Grande?

Maier: Parmi ses compagnons, il y avait Manuel Solórzano, son sacristain alors âgé de 72 ans, qui a toujours été à ses côtés. Ils se rendaient justement à la messe du soir. Nelson Lemus, âgé de 16 ans seulement, se trouvait également avec eux. Les assassins, dénués de tout scrupule, les ont tués aussi, c'est pourquoi ils sont aujourd'hui béatifiés avec Rutilio Grande.
Ce sont les premiers laïcs du Salvador à être béatifiés, ce qui représente un symbole très fort pour l'Église et pour le peuple salvadorien. Cela montre aussi clairement qu'il n'y a plus de différence entre prêtre et laïc dans le martyre. Et c'est également un hommage vibrant aux milliers de laïcs qui ont perdu la vie au Salvador pendant la guerre civile. Le théologien de la libération Jon Sobrino les a qualifiés de «crucifiés du peuple salvadorien».

DOMRADIO.DE: L'assassinat de Rutilio Grande et de ses compagnons a-t-il été élucidé et quelqu'un a-t-il été sommé de rendre des comptes?

Maier: L'identité des meurtriers étaient connue et il était de notoriété publique que des soldats de la garde nationale étaient impliqués. Mais il n'y a jamais eu aucun procès.

DOMRADIO.DE: Vous allez assister à la béatification – comment cela se déroule-t-il ?

Maier: J'ai hâte de participer à cette célébration, si tant est que le coronavirus le permette. Elle aura lieu sur la place centrale «Salvador del Mundo» de San Salvador, là où avait déjà été célébrée la canonisation de l'archevêque Romero. J'étais présent à l'événement, qui avait rassemblé à l'époque près de 300'000 personnes. Cette fois-ci, la foule sera moins importante en raison de la pandémie, mais la célébration sera également retransmise en vidéo dans les nombreuses paroisses car il s'agit d'un événement national.

Cet entretien a été réalisé par Ina Rottscheidt pour Domradio.de

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