Anecdote picrocholine au quartier des Pâquis

Dans mon billet paru au début de la semaine du 26 juin dernier, j’épinglais les subventions cantonales à une association qui prônait, pour la bonne cause, une sorte de désordre public. Au retour des congés d’été, je découvre dans les journaux genevois que vers la même date fut mise au jour une situation moins ambiguë portant sur une dérive de ce genre –mais plus nette car explicitement reconnue par une édile. D’après Le Temps du 29 juin 2022, la magistrate chargée de l’aménagement avait «donné son feu vert aux activistes, qui ont agi de bonne foi». Le délit avait été un arrachage de bitume dans le quartier des Pâquis. Il s’agissait d’un «dégrappage sauvage de la chaussée par des militants». (Le dégrappage, littéralement séparer les grains, consiste plus largement enlever les points de jonction entre une surface et son socle.)

L’idée verte était sympathique, mais parfaitement illégale –fût-elle bénie par la magistrate. C’est la raison pour laquelle le conseil administratif de la ville de Genève avait déposé contre les contrevenants une plainte pour dommage infligé à la propriété publique. La magistrate ayant admise son «erreur», la ville de Genève a retiré sa plainte.

Cette anecdote picrocholine m’inspire deux remarques. La première porte sur le fait que la magistrate s’en est sortie à bon compte pour avoir reconnu ses «erreurs». Car, en supposant même qu’elle ne fut pas à l’origine de l’idée de dégrappage, elle a, aux dires du journal, couvert de son autorité officielle les militants «qui ont agi de bonne foi». Je m’étonne d’ailleurs que la magistrate, pour autant qu’elle fut convaincue de la nécessité de verdir le quartier des Pâquis, ait cru pouvoir agir «à la hussarde» comme on dit en France, c’est à dire en brusquant l’exécution de ses désirs légitimes en s’adressant à des militants plutôt qu’aux Services idoines de la voierie.

Ma seconde remarque porte sur la sorte auto-amnistie que la magistrate s’est accordée en parlant d’erreur et non pas de faute. La distinction a fait parler d’elle en France à l’occasion du procès dit du sang contaminé. La ministre de l’époque avait déclaré, «je suis responsable, mais pas coupable». La différence est en effet de taille. La responsabilité relève d’un lien de cause à effet et, finalement, de l’erreur d’appréciation. S’agissant d’erreurs, dans le cas présent, la magistrate a-t-elle, oui ou non, provoqué –simplement autorisé, ou simplement permis– l’acte délictueux des militants? Il semble bien qu’elle ait reconnu ce lien de cause à effet, sans que l’on sache d’ailleurs qu’elle en fut la nature exacte (a-t-elle été l’initiatrice ou s’est-elle contentée de mette son sceau quasi officiel sur les agissements délictueux?)

La faute, en revanche, est sans aucun doute politiquement moins sensible, mais moralement plus grave. La faute consiste ici à faire volontairement quelque chose contraire à la loi. Ce qu’aucun citoyen, certes, ne doit commettre ; mais plus encore lorsqu’il est revêtu d’une charge publique. Toute égratignure de la loi venant d’une instance officielle ne peut que détériorer le goût du vivre ensemble et mine la paix civile.

Auteur:

Étienne Perrot sj est un jésuite de la Province d'Europe Occidentale Francophone (EOF) qui a vécu 15 ans à Genève (de 2001 à 2016), au sein de la communauté de Carouge. Il écrit régulièrement sur le site des jésuites de Suisse depuis 2013. Il est en outre membre du conseil de rédaction de la revue culturelle suisse choisir.
Étienne Perrot, né en 1944 dans le Doubs (France). Il a enseigné  l'économie et l'éthique sociale à Paris, et l'éthique des affaires à l'Université de Fribourg 3. Il a écrit plusieurs livres, notamment Esprit du capitalisme, es-tu là ? Derrière les chiffres, discerner l’humain, Bruxelles, Lessius 2020.

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