«Accompagner les hommes et les femmes sur leur chemin de vie»

Le développement de projets, c’est dans son ADN: responsable d’événements pour des festivals de musique notamment militaire, directeur de rédaction pour le magazine Jesuiten, Mathias ajoute aujourd’hui un mandat de longue durée à son existence: celui de prêtre. « Le projet d’une vie », s’exclame Matthias Werfeli sj. Cet Alémanique, issu d'une famille réformée, est entré à l’âge de 16 ans en contact avec une église de rite byzantin. Cela a changé sa vie. (Lire notre article). À 38 ans, il décide d'entrer au sein de la Compagnie de Jésus. Et le 19 octobre 2024 prochain, il sera ordonné prêtre à Zurich et se réjouit de ce «voyage passionnant, riche en découvertes».

Vous êtes entré chez les jésuites sur le tard. Qu'est-ce qui vous a poussé à faire ce pas à 38 ans?

Mathias Werfeli sj: «Ma relation avec l'Église et avec Dieu a toujours été très présente. L'église, le culte et la chorale de l'église de Zurich dont je faisais partie, étaient pour moi des lieux où je pouvais me ressourcer, où j'étais là, présent au monde, et où je pouvais m'intégrer dans un ensemble plus large. Au fil des années, j'ai pris conscience que je voulais intégrer davantage le spirituel et l'ecclésiastique dans ma vie, mais je n'ai pas tout de suite trouvé le moyen de le faire.

Lorsque j'ai participé à la gestion d'événements pour un festival de musique, il était clair pour moi que je ne voulais pas faire de cette activité le centre de ma vie. J'avais alors 37 ans. Je me suis alors dit qu'à 40 ans, je ferais une retraite spirituelle pour voir ce que je voulais faire de ma vie. L'idée d'étudier la théologie était déjà dans l'air, pas encore celle de rejoindre les jésuites.

L'agence dans laquelle je travaillais a perdu coup sur coup deux événements majeurs. Mon poste a été supprimé et lorsque mon patron me l'a annoncé, j'y ai vu un signe: "Dieu veut que je me pose la question de mon avenir maintenant, et pas dans trois ans". J'ai pris les jours de congé qu'il me restait, j'ai fait une retraite. Dans la prière, j'ai compris que le chemin menait aux jésuites.»

Vous n'avez pas seulement travaillé dans l'événementiel, mais aussi à l'aéroport et au sein de l'armée. Pourquoi tout cela n’a-t-il pas été une perspective à long terme pour vous? Qu'est-ce qui vous a manqué?

«J'ai beaucoup appris par la gestion d'événements. J'ai notamment aimé élaborer et suivre des projets. Et c'est ce que je fais aussi maintenant en tant que jésuite : chaque fois que je prépare un numéro du magazine « Jesuiten », c'est un nouveau projet qui se crée. Mais l'événementiel est aujourd'hui un domaine très compétitif. Il faut aimer ça, être constamment en négociation : avec les partenaires, les prestataires, les clients. En fin de compte, il faut survivre économiquement et s'agit de réfléchir sans cesse à réduire les coûts. J'aime organiser des événements, mais demander cinq offres et les mettre en concurrence, ce n'est pas mon monde.»

Vous avez alors posé votre candidature pour entrer au noviciat des jésuites. Pourquoi avez-vous choisi cet ordre?

«À Bâle, j'avais déjà été en contact avec les jésuites pendant plusieurs années par le biais de l'aumônerie des étudiants. Pour moi, être jésuite était un projet de vie plus radical que tout ce que je pouvais imaginer. Ce n'est que lorsque je me suis vraiment penché sur la question et que j'ai écouté la voix de Dieu, mais aussi la mienne, que j'ai remarqué que cela pouvait en fait me convenir! Cela me convient intellectuellement, cela me convient spirituellement, cela me convient dans la conduite de ma vie. Le partage en communauté, la manière de vivre ensemble des jésuites, est extrêmement importante pour moi. Je ne suis pas bénédictin ou dominicain, et je ne pourrais pas non plus m'imaginer être prêtre diocésain. J'ai besoin d'être avec mes confrères. 

Au début, j'étais un peu timide, parce que je me disais: Mon Dieu, ce sont tous des intellectuels. Mais j'ai remarqué que j'avais aussi ma place, que je pouvais travailler intellectuellement et scientifiquement et que je pouvais étudier à nouveau. Cela m'a plu, car le monde académique est mon monde.»

Comment votre entourage a-t-il réagi lorsque vous êtes entrés dans l'Ordre?

«Les réactions ont été très différentes d’une personne à l’autre, selon la situation dans laquelle ils étaient et la relation qu'ils avaient avec moi. Certains ne me croyant pas prêt me disaient: «Vas-y, tu reviendras de toute façon au bout d'un an ». D'autres, plus que sceptiques mais heureusement peu nombreux, m'ont demandé: « comment peux-tu gaspiller ton potentiel dans un ordre religieux, au sein de l'Église? Tu devrais plutôt faire carrière.» La plupart se sont montrés très positifs et m'ont félicité pour cette décision. 

Dans ma famille, l'accueil a également été positif. Ma mère était très enthousiaste : pour elle, l'Ordre était exactement l'endroit où je devais être. Mais plus le noviciat approchait, plus elle devenait hésitante. Elle se rendait compte que je n'allais plus appeler ou passer chaque semaine. Pour mon père, a réagi inversement : au début, il m'a demandé si c'était vraiment nécessaire, si je ne voulais pas plutôt faire carrière dans l'armée. Mais il s'est renseigné sur la Compagnie de Jésus et s'est rendu compte de la richesse des possibilités qu'il pouvait m’apporter. Et depuis, mes parents se rendent partout où je suis et profitent de l'occasion pour découvrir l'Europe.»

La foi a-t-elle joué un rôle important dans votre famille?

«Nous sommes une famille réformée classique, non pratiquante. J'ai grandi dans la religion réformée et mes parents allaient à l'église pour les baptêmes, les mariages, les enterrements et à Noël. Ils priaient avec nous avant d'aller au lit. J'ai reçu ma confirmation réformée car mes parents disaient à moi et mon frère: «Vous êtes libres de quitter l'Église plus tard si vous le souhaitez. Mais vous devez savoir ce que vous quittez». Pour mes parents, il était très important que nous connaissions l’Église. Dans la famille, la foi était maintenue en éveil, et en même temps, nous avions tout liberté de la découvrir par nous-même.»

À l'âge de 16 ans, vous avez fait la connaissance de l'Église ukrainienne gréco-catholique. Comment cela s'est-il passé?

«J'étais alors en vacances chez ma tante. Elle chantait dans la chorale de la paroisse gréco-catholique ukrainienne et elle m'a emmenée avec elle. Avec la liturgie, les mélodies et les chants, un vaste monde s'est ouvert à moi, le monde des églises orientales. On peut dire qu'il n'y a pas de hasard avec Dieu. Mais le fait que je sois entré dans l'Église orientale ukrainienne était peut-être un hasard tout de même. Cela aurait pu être une autre Église orientale, dans laquelle ma tante aurait par hasard chanté.»

Qu'est-ce qui caractérise cette église selon vous?

«La liturgie byzantine a conservé un ensemble de vecteurs qui aident à entrer dans la prière: avec l'encens, l'odorat est notamment activé. Les yeux et les oreilles ne sont pas oubliées. Ressentir et goûter la liturgie n'est pas seulement un concept intellectuel à suivre. La beauté, le ressenti, l'esthétique si merveilleuse sont des moyens d'entrer dans la prière. C'est avec les textes et les chants du jour que s'ouvrent les prières. Ils sont d'une grande richesse dogmatique. Je n'ai découvert leur profondeur qu'avec les années, au début, j’avais simplement du plaisir à chanter et écouter une belle liturgie.»

Pourquoi aujourd’hui voulez-vous devenir prêtre?

«Pour servir l'Église et les fidèles. Le service à la communauté est au centre de mes préoccupations. En tant que prêtre, j'ai la possibilité d'accomplir ce service d'une manière particulière, de transmettre la grâce de Dieu d'une manière particulière. Je n’en suis pas le propriétaire, je distribue pour ainsi dire gracieusement. En tant que prêtre, je ne suis pas meilleur que les autres. C'est une responsabilité qui m'est confiée de pouvoir, en tant que prêtre, assister les gens et les accompagner sur leur chemin de vie.»

Comment vous êtes-vous préparée à cette étape?

«Je me prépare depuis des années. Lorsque l'on entre dans la Compagnie de Jésus, on nous demande si nous souhaitons suivre une voie de frère novice ou de novice scolastique qui mène au sacerdoce. Je me suis toujours considéré comme un scolastique novice. Je ne peux pas décrire exactement pourquoi j'ai fait ce choix, mais au fond de moi, il a toujours été clair que cela se résumerait à ce ministère.

Chaque prière, chaque approfondissement de notre relation avec Dieu est une préparation aux ministères auxquels nous sommes appelés. En fin de compte, nous espérons tous être suffisamment préparés à notre ministère. Quant à savoir si nous sommes vraiment bien préparés, seul Dieu le sait. Le test ne vient que sur le terrain: lorsque je me tiendrai pour la première fois derrière l'autel en tant que prêtre, nous verrons si je suis prêt ou non.»

Comment envisagez-vous votre avenir de prêtre?

«Je me le représente comme une incarnation. L'incarnation est une notion importante dans la spiritualité ignatienne, car tout doit se concrétiser dans la vie réelle. Mon souhait a toujours été d’unir ma vie intellectuelle, ma vie professionnelle et ma vie spirituelle. Il s'agira maintenant d'intégrer aussi ma vie sacerdotale à cette unité. Ce sera un long processus, j'aurai probablement besoin d'y travailler jusqu'à la fin de ma vie. Je vais voir comment je peux rendre mon sacerdoce le plus fructueux possible pour la communauté dans laquelle je suis, pour les fidèles, pour les jésuites. Je pense que ce sera un voyage de découvertes extrêmement passionnant. Je m'en réjouis beaucoup.»

Entretien mené par Eva-Maria Hartinger
Traduction et adaptation Céline Fossati

 

À son propos:

Mathias Werfeli SJ

Mathias Werfeli sj est né en 1977 à Bâle, en Suisse, au sein d'une famille réformée. Il a grandi à Bâle-Campagne aux côtés de ses parents et de son frère. Il a poursuivi des études en histoire médiévale, ainsi qu'en littérature et linguistique anglaise à l'Université de Bâle.
Dès son adolescence, le jeune Mathias Werfeli s'intéresse à la spiritualité et la liturgie de l'Église orientale. Il participe en tant que choriste à la communauté gréco-catholique ukrainienne de Zurich, où il est finalement intégré et nommé sous-diacre après un cheminement de 15 ans. Pendant ses années universitaires, il s'implique également dans la vie de la communauté catholique de l'Université de Bâle, où il apprend à connaître et à apprécier les jésuites et leur spiritualité à travers les Exercices spirituels.
En 2015, il rejoint la Compagnie de Jésus. Après avoir étudié la théologie et la philosophie à Paris, il rentre à Zurich pour suivre un stage d'un an au sein de la communauté universitaire catholique (Aki). Depuis 2022, Mathias Werfeli sj poursuit ses études à l'Institut pontifical oriental de Rome.

Newsletter

Das Magazin „Jesuiten“ erscheint mit Ausgaben für Deutschland, Österreich und die Schweiz. Bitte wählen Sie Ihre Region aus:

×
- ×