Luc Ruedin sj - Chacun d'entre nous le sait bien: vivre vraiment, vivre pleinement c'est aimer, et c'est aimer vraiment. Pourtant, chacun le sait aussi, et c'est l'évidence: aimer ne se commande pas; aimer ne se dicte pas; aimer n'est pas un acte de volonté pure: «L'amour ne se commande pas, puisque c'est l'amour qui commande», comme l'écrit André Compte-Sponsville dans son Petit traité des grandes vertus (LGF/Le Livre de Poche 2018).
La preuve? L'épreuve! Tomber amoureux s'éprouve! Être endeuillé d'un être cher s'éprouve! Ce sont passions, sentiments, états intérieurs de joies trop grandes, de tristesses trop pleines. Avant tout et d'abord aimer est donc passivité. Passion souvent qui nous déborde: «elle est tombée amoureuse» indique bien que... quelqu'un l'a fait tomber! «Il est affecté par la perte d'une épouse», dit bien que l'émotion bouleverse ce qui ne peut encore se réfléchir, se mettre en paroles, être fruit d'une activité. Un équilibre est rompu; une force nous atteint plus profond que notre conscience: explosion de vie inconnue, jouissive, savoureuse ou implosion d'une relation aimée, chérie qui semble disparaitre dans les pleurs du deuil...
Aimer d'action vient après ou peut-être en même temps. Quelque chose en nous a été touché. Épris ou meurtris nous avons, à notre rythme, à conjuguer cette passivité. Nous avons à lui donner, grâce à notre liberté, une forme, une durée, une vie propre et unique. Nous avons à la transformer en respectant ses lenteurs, ses résistances. Si aimer est un sentiment, il se conjugue dans l'action. Là est le champ de notre liberté. Là s'éprouvent ses effets.
Ainsi, c'est passer des flammes et éblouissements de la première rencontre à l'engendrement heureux et serein d'une amitié amoureuse: le feu aura su devenir foyer, l'éblouissement lumière... C'est, en ces durs chemins de séparation, de pleurs et de douleurs, trouver peu à peu, petit à petit, la présence intériorisée de celui ou de celle qui nous a quitté; de celui ou de celle qui vit en nous, présence enfouie mystérieusement. Présence au cœur de notre cœur que les oublis de notre mémoire et les rides du temps ne peuvent altérer.
Aimer est passion et action. Aimer conjugue les deux dans ce subtil équilibre que l'Esprit-Saint peut nous donner de percevoir si nous nous disposons à l'écouter. Subtil équilibre que Son action nous donne de sentir dans notre existence dans la mesure où notre liberté croît. Pour cela, il importe que nous lui laissions la place. Il importe que nous soyons justement passifs à Son action pour que notre activité libérée puisse faire fructifier les fruits de Sa passion.
Luc Ruedin sj
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