Par Pierre Emonet sj - Ce dimanche 5 avril 2020, dimanche des rameaux, sera une nouvelle fois sans messe publique, mais pas sans Évangile! Pierre Emonet sj propose sa réflexion sur cette journée si importante pour nous mais si étrange en ces temps de pandémie. On y parle de foule. de joie, de jubilation même. Mais aussi de basculement, de doute, de peur, de mort... d'«inconstance des foules versatiles aux enthousiasmes éphémères». Un texte à méditer:
Dimanche des rameaux, journée de contrastes. Dans un même élan, on célèbre l’entrée de Jésus à Jérusalem et sa Passion. L’entrée est enthousiaste; la foule, spontanée, acclame Jésus comme un grand prophète, l’envoyé de Dieu, le Messie attendu. Il y a de la jubilation dans l’air, une joie innocente, un consensus spontané et plein de bon sens. Portés par les acclamations et les hourras, les disciples de Jésus se sentent confirmés dans leur choix. Le maître enfin reconnu et célébré, ils comprennent qu’ils sont du bon côté, le côté de la réussite. Hosanna ! Le ciel et les anges nous protègent. Dieu est avec nous.
Et il y a la Passion de Jésus. Sans grande transition, en quelques jours, tout a brusquement basculé. Jésus détesté, hué par ceux qui l’avaient acclamé comme l’envoyé de Dieu, assassiné comme un faussaire de la religion. Manipulée par les autorités religieuses, la foule qui, il y a peu, l’acclamait réclame sa mort, et lui préfère un bandit de grands chemins. Déconcertés, apeurés, les disciples prennent la fuite et renient leur passé. Sauve qui peut pour ne pas se trouver en désaccord avec l’opinion publique, au risque de se faire lyncher.
Inconstance des foules versatiles aux enthousiasmes éphémères, toujours prêtes à brûler ce qu’elles ont adoré. Redoutable influence de l’autorité religieuse, politique ou médiatique lorsqu’elle se dévoie et que le poids de l’opinion publique pervertit tout un peuple.
Les braves gens qui acclament Jésus le jour des Rameaux sont sincères. Leurs hosannas jaillissent de cet instinct de foi qui ne peut pas se tromper dans la mesure où il est uni au Christ. Le pape François l’a plusieurs fois rappelé à la suite du concile Vatican II: «L’ensemble des fidèles est infaillible dans le croire, et il manifeste son infallibilitas in credendo à travers le sens surnaturel de la foi de tout un peuple en marche.» Vox populi, vox Dei!
La foule, qui réclame la mort de Jésus et s’obstine à déjouer les manœuvres de Pilate pour le soustraire à son horrible sort, ne s’appartient plus. Manipulée par les autorités religieuses -les Grands prêtres et les anciens- la voilà arrachée à sa bonne foi. Perversion suprême lorsque le pouvoir religieux ou politique, la mode ou de sordides avantages, excitent le troupeau contre le Juste, et faussent la balance en faveur des Barabbas en tous genres.
Déconcertante versatilité des foules! Si souvent dans nos vies: alternance, perpétuel balancement entre l’enthousiasme pour le Christ et la crainte grégaire, parce que les puissants, ceux qui savent, et ceux qui parlent haut l’ont dit.
Égal à lui-même le Christ traverse l’histoire, silencieux et résolu, dans le triomphe comme dans l’adversité.
Pierre Emonet SJ