Une semaine depuis que la pierre du tombeau est roulée. Tout est changé, tout demeure. Certains encore, tel Thomas, ne peuvent croire sans voir, sans toucher, sans mettre leur main dans son côté. Il en va de la foi, il en va aussi de la blessure, de son sens, et de ce qu’elle signifie dans la durée. La blessure devient reconnaissance.
Ici, presque en majesté, voici le Christ au milieu de ses disciples. Les scènes sont parallèles. Avant-hier, presque analogue, le Christ se tenait entre un homme, Pierre, et sans doute une femme, peut-être Marie-Madeleine. Il est sur ce chapiteau dans la cathédrale de Vienne (France). Scène forte, de présence, de témoignage.
Il n’est pas encore intouchable, lointain, il est encore proche, encore Emmanuel, «avec nous», mais il sera bientôt au loin. Entre temps, il vient à se faire reconnaître. Vivant de chair, de blessure, d’amour.
Le geste de Thomas est connu, il s’apparente au scepticisme. L’Évangile de ce deuxième dimanche de Pâques le relate. Parenthèse, tout au long des jours passés, nous nous sommes approchés autant que faire se peut des scènes de la liturgie, scènes de fin de carême, de la semaine sainte, ou de celle qui suite Pâques. Mais je ne connais pas de scène romane où Thomas met effectivement ses mains dans le côté de Jésus. La gloire est souvent préférée.
Le Ressuscité, Cathédrale de Vienne, Isère © Pierre Martinot-Lagarde sj
Mais les blessures. Pour beaucoup, dans la mémoire catholique, elles font partie du chemin de croix, elles renvoient à la lecture d’Isaïe et du serviteur souffrant. Avec Thomas, elles deviennent étapes du chemin pascal. Le Christ ressuscité apparaît comme un homme blessé, un homme reconnaissable. Le voici donc devant les disciples.
Qu’elles soient signes de reconnaissance est une chose, qu’elle prenne sens dans l’histoire de salut qui nous est racontée en est une autre. Il est donc clair que les blessures ne s’effacent pas. Combien d’entre nous ont des peaux marquées de cicatrices. Traces, marques, indices, elles nous sont indispensables.
Quand j’étais encore en formation, des discussions entre étudiants sur le sens de la résurrection, nous en avions en abondance. Nous reprenions les débats du siècle passé. Exégétique, théologique, quel est le sens de l’événement de Pâques, est il un événement? Parfois conceptuelles, parfois narratives, historiques, les interprétations et les compréhensions échappent souvent à notre entendement. On souhaiterait une histoire sans fin, qui se répète à l’envie. Si Jésus est ressuscité, et de nous qu’en sera-t-il? L’art roman abonde de ces tombeaux qui s’ouvrent. On voudrait, comme en physique, que l’histoire puisse se reproduire, se reconduire. là dessus, il y a mystère.
L’important est ailleurs, dans la trace, la marque, l’indice, précisément. Dans la blessure, sans aucun doute. Il y a un unique, un premier, un Vivant qui précède, qui ouvre. Si on efface sa marque, il n’y a plus que banalité discours, voire logorrhée. Non, il y a un premier, et ainsi, il y a Chair, et non pas songe, rencontre et dialogue, non pas imagination. Ainsi il est là, lui le Premier qui fait Histoire.
Texte et photos Pierre Martinot-Lagarde sj