La bête, l’écraser, la serrer entre nos genoux, lui fendre la mâchoire en deux parts, nous asseoir sur son dos. On en rêverait. De nous trouver pour un jour, pour un soir, pour toute une semaine, pour tout un mois, tout un confinement, le Samson qui terrasse le dragon.
C’est à Genève que nous rêvons. À l’entrée de la cathédrale, caché dans la pénombre, il est là ce surhomme. Autrefois, il était dehors peut-être, sur le portail qui a disparu et se trouve maintenant ouvrir la série de la nef. Dans le temple de Calvin, plus personne ne lève la tête. Pourtant, ils sont bien là ces chapiteaux aux couleurs apocalyptiques.
Presque inconnu ce petit d’homme, seule sa chevelure est célèbre. Elle vient d’un vœu. Il est un de ces petits êtres tant attendus, tant désirés, par des parents qui peinent à accueillir la vie. Quand vient l’enfant, le Seigneur ne reprend pas, les parents le lui confie. Sa chevelure en est la marque.
Un jour il est amoureux, il souhaite prendre femme. Mais l’être désirée est étrangère, elle est lointaine. Les parents consentent au mariage et Samson s’en va vers elle.
En chemin, voilà le lion et le dragon. L’homme si fort, si puissant, le terrasse.
On en rêve aujourd’hui d’un tel combat. Rapide, violent mais décisif. Samson est puissant de force, mais aussi d’habileté. Il sait saisir la bête. Avouons, en nos circonstances, nous aimerions semblable puissance, semblable agilité, peut-être accompagnée de ruse. Nous sentons déjà nos crinières au vent, nos cuisses prendre la bête en étau, nos mains insensibles aux crocs en fracasser la gueule.
On rêve aussi à ce sucre, à ce miel, bientôt trouvé dans les entrailles. Pour nous, ce sera aussi sur un chemin de retour, quand tout sera fini, que tout sera comme avant, qu’il n’y aura plus qu’à revenir au quotidien. Samson nous fait rêver.
De cet après, de ce temps qui parait lointain, nous rêvons de nous saisir. Pourtant, notre marche se poursuit distante, silencieuse et cote à cote, quand s’approchent les moments ultimes du pèlerinage de Pâques. Tout prend une autre saveur, les senteurs sont nouvelles, les pas nous sont comptés, nos vies se font prière.
Prions au lieu que de rêver.
Texte et photo Pierre Martinot-Lagarde sj