À l’ombre de la promesse, rien n’est dû, tout est don. À marcher avec le Seigneur, Abraham et Sara apprennent un nouveau rythme. Il y a les ruses et les subterfuges, les combats et les compromissions, et puis ces étoiles du ciel, tout dépend du fils venu tardivement quoique annoncé. Tout dépend de Dieu, jusqu’au bout.
Nous sommes à Souillac. Sur une autre face de ce trumeau, il y avait Adam et Eve expulsés du paradis. Là Abraham, Isaac, le bélier -sans ses cornes prises dans un buisson- et la main de l’Ange: tout y est. Dans un entremêlement de corps et d’animaux, le sacrifice et le don, tout ensemble, point de départ qui résume toute la promesse faite à Abraham.
Avec le Seigneur, celui qui se fera bientôt reconnaître dans l’histoire comme le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, l’apprentissage est rude. C’est Isaac maintenant qui fait l’expérience de la ruse, à ses dépends. Où est le mouton pour le sacrifice? Dieu pourvoit. Je continue pour ma part à me demander comment un vieillard plus que centenaire a pu lier sur un bûcher son fils qui n’avait peut-être pas vingt ans. Drôle de relation père-fils.
Mais voilà, il y a promesse, pas de certitude, et Abraham marche selon la promesse. Il connaît le troc et le marchandage, il connaît les échanges et le donnant. N’a-t-il pas essayé lui-même avec Dieu? Combien de justes Dieu sauvera-t-il à Sodome ?
Mon père exécrait ce chapitre: cette négociation de marchand de tapis avec Dieu, ça ne se fait pas! «On ne négocie pas avec Dieu». Il ne pouvait comprendre qu’Abraham ose ainsi demander, quémander, pour épargner des vies. Mais Abraham était Abraham.
Sacrifice d'Isaac, Souillac, Détail © Pierre Martinot-Lagarde sj
Car pour ce qui était de son fils, Abraham n’a pas négocié, il n’a pas demandé de répit, quelques jours supplémentaires. Il n’a pas jeûné, ne s’est pas mis en prière, ne s’est pas versé de cendres sur la tête. Il a pris son fils avec lui, et le voici près à lui prendre la vie.
Alors on a voulu expliquer. «C’était courant à cette époque de sacrifier le premier né», d’en faire don pour une plus grande prospérité. Excusez-moi, merci pour les aînés, et puis pour ceux comme Isaac, c’est encore pire, il a été attendu, espéré, il n’a pas de frère, alors non.
Il faut chercher ailleurs, chez ces anges qui ne cessent de venir, ces mains qui ne se cessent de se tendre. Non pas pour psychologiser, Abraham ne savait rien, il ne pouvait dire «tu n’as voulu ni offrande ni sacrifice, alors j’ai dit voici je viens».
Il y a un quelque part venu du plus lointain, une force plus forte, une vie plus vivante: c’est Abraham avec le Seigneur. Un lien qui dure, une promesse qui s’accomplit, nous en sommes là, et pas ailleurs. Le patriarche, le père des croyants, le voilà, avec le Seigneur, il marche. Il suit.
Texte et photos Pierre Martinot-Lagarde sj