Les pierres vivantes de Pierre Martinot-Lagarde sj

On a dit de l'art roman qu'il était une bible de pierre, un catéchisme écrit sur les murs. Pour ma part, j'y vois le grand récit d'une époque qui découvre, se réapproprie, transforme et ré-annonce le premier récit évangélique. C'est pourquoi je voudrais proposer, au jour le jour, et aussi longtemps que durera notre marche, ensemble et séparés, de revenir vers ces pierres, de les regarder, de les contempler, peut-être parfois de les entendre, souvent de les toucher. J'y ajouterai un commentaire. Peut-être pourriez-vous aussi y proposer le vôtre? Ainsi nous pourrons continuer d'être ensemble «le peuple immense de ceux qui t'ont cherché».
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Quelques âmes tirées de leurs cercueils, qui apparaissent comme des nouveau-nés, un ange qui les remet à Abraham, à Isaac. Ainsi le premier patriarche n’est plus seul. Dieu, le Seigneur, est bien le dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob.
Nous voici à Arles, pour attester une fois encore de la vigueur, de la force, de cette tradition unique qui puise dans l’Ancien Testament, nous met à la jointure du nouveau et nous projette vers la fin des temps. Tout comme à Moissac, la scène n’appartient pas tant à la narration, au parcours du chrétien en pèlerin de la nef (comme à Vézelay), mais au seuil et à son franchissement. Il s’agit d’entrer et de récapituler.
Lire la suite : Le Dieu d’Abraham, d’Isaac - Figures d’Ancien Testament
Après l’évangile du riche et de Lazare, il faut une explication. Le dialogue de conclusion de l’évangile de Luc était la clé. Il fallait cependant marquer une pause: en quelques versets, il y a bien plus que Lazare, Abraham et le riche. Il y a en fait un triple enjeu. Qu’est-ce que le temps passé a à voir avec le temps présent? Qu’est-ce que le présent a à voir avec la fin des temps? Est-ce que les deux questions s’éclairent l’une l’autre? Voilà toute la tension de l’art roman.
Dans la chronique précédente, nous étions à Vézelay, sur le côté d’un chapiteau représentant la scène de la parabole de Luc. Au centre, Lazare qui festoie avec ses amis. À gauche, l’âme du pauvre Lazare qui monte au Paradis. À droite, Abraham qui accueille Lazare en son giron.
Lire la suite : Les âmes au Paradis - Figures d’Ancien Testament
De l’Évangile de Luc:
«Il y avait un homme riche, vêtu de pourpre et de lin fin, qui faisait chaque jour des festins somptueux.
Devant son portail gisait un pauvre nommé Lazare, qui était couvert d’ulcères.
Il aurait bien voulu se rassasier de ce qui tombait de la table du riche; mais les chiens, eux, venaient lécher ses ulcères.
Or le pauvre mourut, et les anges l’emportèrent auprès d’Abraham. Le riche mourut aussi, et on l’enterra.
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À l’ombre de la promesse, rien n’est dû, tout est don. À marcher avec le Seigneur, Abraham et Sara apprennent un nouveau rythme. Il y a les ruses et les subterfuges, les combats et les compromissions, et puis ces étoiles du ciel, tout dépend du fils venu tardivement quoique annoncé. Tout dépend de Dieu, jusqu’au bout.
Nous sommes à Souillac. Sur une autre face de ce trumeau, il y avait Adam et Eve expulsés du paradis. Là Abraham, Isaac, le bélier -sans ses cornes prises dans un buisson- et la main de l’Ange: tout y est. Dans un entremêlement de corps et d’animaux, le sacrifice et le don, tout ensemble, point de départ qui résume toute la promesse faite à Abraham.
Lire la suite : La main de l’Ange - Figures d’Ancien Testament
Cinq personnages et quelques autres nous mènent directement au creuset d’une histoire sainte, d’une histoire divine, aux résonances multiples jusqu’à aujourd’hui. Dans cette rencontre, tout est résumé. Et nous y arrivons comme par effraction, en suivant les fils de la Genèse qui mêlent et entremêlent les récits: comme si il n’y avait pas un unique commencement, comme si Abraham n’était pas le père des croyants, comme si le Seigneur, Dieu unique, ne s’y révélait pas dans sa puissance.
Sur ce chapiteau d’Arles, la rencontre des cinq personnages dont nous ne voyons que trois, est prodigieuse. J’aime ces mouvements, ces expressions, ces corps ramassés, conjugués les uns avec les autres, comme si ensemble ils pétrissent la même pâte d’humanité. Il y a ces têtes vivantes, ces toges et ces plissés, ces mouvements tendus, il y a ici comme du métal en fusion. Tout pourtant est calcaire, outragé par les ans, mais tout semble vivre.
Lire la suite : Première annonciation - Figures d’Ancien Testament
Tour à tour selon les moments du récit, ils sont mari et femme, frère et sœur; l’un et l’autre cheminent ensemble jusqu’à un âge avancé. La promesse se précise, se renouvelle, elle tarde à s’accomplir. Tous deux, Abraham et Sara, en partagent les péripéties, d’abord en Égypte, en Canaan, vers Damas, à combattre Sodome, dans le pays du Néguev, enfin. Ici pour Israël, il s’agit de fondation, il n’y a rien de simple.
Nous voilà de retour dans le cloitre de Saint-Trophime à Arles. Aujourd’hui et demain, nous faisons le tour d’un unique chapiteau, à trois faces. Aujourd’hui, le mari et la femme ensemble, proches, semblant marcher de concert. Demain, ce sera la première annonciation de l’Ancien Testament, promesse concrète que Abraham aura une descendance. La troisième partie, trop endommagée pour être montrée, présente le veau tué pour les hôtes de passage.
Lire la suite : Abraham et Sara -Figures d’Ancien Testament
C’est une affaire de famille, les uns après les autres, ils montent dans l’arche. Noé, le père, accueille ses enfants; après les couples d’animaux, sa femme les lui fait passer. Il n’est pas loin le temps où il faudra partir voguer, et attendre le retour du corbeau, puis de la colombe.
Après Vézelay, nous sommes ici à Autun, mais le motif est presque identique. La scène se situe quelques versets plus loin dans le récit. Après le moment de la construction, c'est celui où chacun prend place. Les uns après les autres, ils seront là. Mais auparavant, l’arche a été bien construite. L’entrée se trouve sur le côté, l’arche se termine par un pignon. Tous les détails parlent au sculpteur qui fait le récit de la scène.
Lire la suite : Entrée dans l’arche - Figures d’Ancien Testament
Après Caïn, meurtrier, voici Noé bâtisseur. Les instructions de Dieu sont précises, au patriarche de les mettre en œuvre, aussi bien pour la construction que pour l’accueil des animaux que des membres de sa famille qui rejoignent l’arche. Bois de près et bitume, les règles de la constructions navales doivent être respectées. Tout commence avant que le déluge ne vienne.
Nous sommes à Vézelay. La scène vient presque d’une bande dessinée. Les personnages sont à l’œuvre, on devine leur concentration. Géniale invention du sculpteur, attrait pour un métier analogue au sien, il retient de Noé et de son arche les préparatifs avant tout.
Lire la suite : En bois de cyprès - Figures d’Ancien Testament
Nulle part il est dit que Caïn meurt, bien au contraire, mais en art roman, le voilà tué. Imagination, la Bible plus loin que la Bible. Le sculpteur échappe à la tutelle des moines et des théologiens, le voilà auteur, compositeur, inventeur. La mort échappe au texte, elle s’échappe du regard de Dieu qui protège. Elle est dissimulée cachée, derrière les feuillages.
La chapiteau appartient à la série fascinante de Vézelay. Elle est aussi à Autun. Les deux églises ont une étonnante proximité thématique, culturelle, et esthétique. Le thème y est abordé pratiquement de la même manière. Connivence bourguignonne.
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Le père, le frère, la jalousie, le meurtre, tout y est pour une tragédie insoluble. On attend l’engrenage de la violence, tuerie après tuerie, décès après décès. Rien de tout cela, mais une question: où est-il ton frère? Dieu dialogue avec Caïn.
Ici, à Autun, Dieu et Caïn sont presque côte à côte. L’humain est plus petit que le divin. Végétation et forêt entourent la scène. Une inconnue demeure. S’agit-il du premier dialogue, celui de la jalousie? «Pourquoi t’irrites-tu?», ou du second: «Qu’as-tu fait de ton frère?».
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