Une myopie pas si innocente ; La clef dans le porte-monnaie ; Discernement ; Gaudete et Exsultate ; L’observateur myope ; Cruel et cynique ; Au mépris de l'éthique ; Propos d'un postillon qui se croit philosophe ; Démocratie ou ploutocratie ? ; Le journal mieux que les savants ; Christ Roi ou la tentation politique ; Une cage pour le Saint-Esprit
Décembre 2018
Une cage pour le Saint-Esprit
Pierre Emonet sj - Dans un interview accordé aux Salzburger Nachrichten, l’abbé Davide Pagliarani, Supérieur général de la Fraternité Saint-Pie X, justifie le schisme en expliquant que «depuis le concile Vatican II, l’Église pense que tout homme peut trouver Dieu dans sa religion. C’est une prémisse qui réduit la foi à une expérience personnelle et intérieure, dès lors qu’elle n’est plus l’adhésion de l’intelligence à la révélation divine… Cela contredit très nettement l’orientation nécessaire et claire donnée par la loi de Dieu.»
Et de reprocher au pape François -qu’il traite de luthérien- de remplacer l'obéissance à la loi par la pratique du discernement spirituel avant toute décision éthique. Car le salut est dans la loi extérieure et non dans l’expérience personnelle intérieure.
Maître Eckhart (1260-1328) ne semble pas partager cet avis, qui écrit: «C’est au plus profond, au plus essentiel de l’âme, dans la petite étincelle de la raison, que se fait la naissance de Dieu. Dans ce que l’âme peut offrir de plus pur, de plus noble et de plus délicat c’est là seulement qu’elle peut se produire: dans ce profond silence où jamais ne pénétra une créature ni une quelconque image.»
Le mystique dominicain reprend à sa manière l’enseignement de Thomas d’Aquin qui n’hésite pas à professer: «L'homme libre est celui qui s'appartient à lui-même; l'esclave, lui, appartient à son maître. Ainsi quiconque agit spontanément, agit librement. Celui-là donc qui évite le mal, non parce que c'est un mal, mais en raison d'un précepte du Seigneur, n'est pas libre. En revanche, celui qui évite le mal parce que c'est un mal, celui-là est libre. Or c'est là ce qu'opère le Saint Esprit qui perfectionne intérieurement notre esprit en lui communiquant un dynamisme nouveau, si bien qu'il s'abstient du mal par amour, comme si la loi divine le lui commandait; et de la sorte il est libre, non qu'il ne soit pas soumis à la loi divine, mais parce que son dynamisme intérieur le porte à faire ce que prescrit la loi divine.» (Comm. 2Co 3, 17).
Dans la ligne de cet enseignement traditionnel, le Concile Vatican II a clairement rappelé le caractère sacré de la conscience: «Au fond de sa conscience, l'homme découvre la présence d'une loi qu'il ne s'est pas donnée lui-même, mais à laquelle il est tenu d'obéir. Cette voix, qui ne cesse de le presser d'aimer et d'accomplir le bien et d'éviter le mal, au moment opportun résonne dans l'intimité de son cœur: "Fais ceci, évite cela". Car c'est une loi inscrite par Dieu au cœur de l'homme; sa dignité est de lui obéir, et c'est elle qui le jugera. La conscience est le centre le plus secret de l'homme, le sanctuaire où il est seul avec Dieu et où sa voix se fait entendre.» (Gaudium et Spes, 16).
Passer de l’intérieur à l’extérieur, donner la priorité à des lois, à des structures humaines et des traditions temporaires et temporelles caduques, c’est vouloir mettre l’Esprit en cage. Vieille tentation pélagienne qui resurgit comme une des erreurs majeures de notre époque au point d’engendrer des schismes.
Lorsque l’abbé Pagliarani ajoute que tout homme qui est à la recherche de la vérité «a besoin de la direction du prêtre», on peut craindre qu’il ne fasse l’impasse sur la théologie du Saint-Esprit amorcée dans l’Évangile de Jean (Jn 16,12-15), pour justifier le cléricalisme, cette source empoisonnée de tant d’abus de pouvoir dans l’Église.
Novembre 2018
Christ Roi ou la tentation politique
Le Christ devant Pilate, Mihály Munkácsy, 1881Chaque fois qu’il a été sollicité pour exercer le pouvoir, Jésus s’est dérobé. Lors de la tentation au désert, après la multiplication des pains, ou sous les acclamations de la foule au jour des Rameaux. Après les guérisons, il s’empressait de désamorcer l’enthousiasme des gens en leur imposant le silence, pour ne pas voir sa mission récupérée par des mouvements nationalistes et politiques.
À ses disciples qui se disputaient les premières places, il avait expliqué qu’ils ne devaient pas aspirer au pouvoir comme les politiciens: que celui d’entre vous qui veut être le premier prenne la dernière place et se fasse serviteur.
En face de Pilate, les circonstances ont changé! C’est un homme condamné à mort, livré à ses ennemis, sans pouvoir ni gloire qui ne refuse plus le titre de roi. Jésus revendique la royauté au moment où il se trouve à la dernière place. Tout triomphalisme est écarté, sa mission ne risque plus d’être gauchie par un projet politique. Son royaume ne risque plus de s’inscrire dans des structures politiques, ni même dans une culture. Pas de gardes, pas d’armée, pas de territoire, pas d’économie. Pas d’autre programme qu’une vie donnée. Pilate et les Romains ne courent plus aucun risque ! Sa royauté consiste à manifester la bonté du Père. Étrange royauté!
Si Jésus n’a pas succombé à l’attrait du pouvoir politique, l’Église n’a pas toujours su éviter le piège. Plus d’une fois tentée au cours de son histoire, elle s’est hissée à la hauteur des rois et des empereurs. Elle a levé des armées pour faire des guerres ou des croisades. Elle a participé à la colonisation. Elle a pesé de tout son poids sur des partis politiques. Aujourd’hui, elle cueille les fruits amers d’un pouvoir pervers et déguisé en dévot, le cléricalisme dénoncé par le pape François.
Le titre de Christ-Roi est certainement ambigu. Il recèle un piège. Celui de justifier des programmes politiques ou des formes de gouvernement, qui ne sont qu’une trahison du style de cette royauté que le Christ revendique devant Pilate.
Octobre 2018
Le journal mieux que les savants
Denier de César, de Champaigne, 1655Dans l’Évangile, Jésus met ses disciples en garde contre «l’argent malhonnête». Malhonnête, l’argent? Et moi qui croyait qu’il n’avait pas d’odeur, et donc pas mauvaise réputation. Pour y voir plus clair, j’ai interrogé les exégètes et les commentateurs. Les uns parlent d’argent «trompeur», d’autres d’argent «injuste» ou «malhonnête».
Quelque soit leur traduction, tous semblent unanimes: Jésus dit bel et bien que l’argent peut avoir une odeur. Et même nauséabonde. Si les propos de Jésus ne sont peut-être pas une condamnation sans nuance, ils sont tout de même une sérieuse mise en garde: on ne fréquente pas l’argent sans danger.
Mieux que les exégètes et les savants traducteurs, mon journal m'explique les propos de Jésus. En me rapportant à satiété les affaires qui se succèdent à Genève, dans l’arc lémanique et jusque dans les hautes sphères de l’armée. À trop fréquenter des hommes d’argent, des personnes au-dessus de tout soupçon, auxquelles le bon peuple confie ses intérêts et la gestion du bien public, ont perdu leur innocence. Malhonnête, menteur, profiteur, injuste, ce que l’argent peut faire de ses amis! Dont acte. Brûlant réalisme de l’Évangile.
Septembre 2018
Démocratie ou ploutocratie ?
Il y a quelques jours, on apprenait que le Groupe Mutuel, assurance-maladie, est représenté au Parlement par une bonne douzaine de parlementaires, qui reçoivent sans sourciller des indemnités de la part de l’assurance-maladie pour leur « travail » au profit de… !
Curieux exercice de démocratie. Une bonne partie de ces messieurs, la moitié, siègent actuellement dans les commissions parlementaires de la santé. Et ils ne sont pas les seuls. Au total, 17 élus ont des liens d'intérêts avec des caisses-maladie (6 UDC, 5 PDC et 4 PLR), quand ils n’ont pas des fonctions dirigeantes (Curafutura et Helsana). Allez vous étonner si la réforme de notre système de santé patine.
Samedi, mon journal m’explique que la Suisse cajole les fabricants de tabac. Bien que la Suisse ait signé la convention de l’ONU qui recommande d’adopter le principe du paquet de cigarettes neutre, les bonnes intentions du pays se perdent toujours dans les chicanes parlementaires. Rien d’étonnant lorsqu’on sait que 40 des 200 membres du Conseil national et 12 des 46 sénateurs sont liés d’une manière ou d’une autre à l’industrie du tabac.
Aujourd’hui j’apprends que notre ministre des affaires étrangères a créé un groupe de travail pour réajuster la politique extérieure de la Suisse. Seuls des représentants de l'économie en font partie.
Quand la démocratie se mue en ploutocratie, qui représente qui ?
Été 2018
Propos d'un postillon qui se croit philosophe
Dans Le Point du 26 juillet 2018 (p. 106), le journaliste Pascal Bruckner se fend d’un pamphlet contre le pape François, qu’il n’aime pas, mais pas du tout. Comme il était à prévoir les réflexions qu’il propose ne sont qu’un tissu de lieux communs et de jugements à l’emporte-pièce, qui ne tiennent pas à la confrontation avec la réalité.
Pour prétendre que le pape François a sympathisé avec la théologie de la libération, qu’il a collaboré avec la junte des dictateurs argentins, il faut n’avoir lu et digéré que quelques propos de boulevards, sans s’être intéressé ne serait-ce que quelques instants aux débats que ces assertions ont suscité à l’époque de son élection. Les recherches historiques, les interrogations de témoins, les documents écrits, filmés ou auditifs ont largement prouvé le contraire. Le pape François plutôt partisan d’une théologie du peuple s’est toujours montré méfiant envers la théologie de la libération. Certains le lui ont même reproché. Loin d’être proche des dictateurs argentins, il a caché et organisé la fuite de nombreuses personnes poursuivies par la police et l’armée et son soutien ouvert aux madres de la plaza de Mai est bien connu.
Pour affirmer qu’il cautionne et profite d’un système bancaire entaché par nombre de scandales il faut tout ignorer de la longue et décidée réforme de la Banque du Vatican entreprise par le pape François dès son élection. La presse internationale l’a largement commenté. Ou bien monsieur Bruckner n’a jamais lu un journal sérieux, ou bien il fait preuve d’un mauvais esprit stupide et primitif.
Seule une personne qui s’institue sa propre pensée comme norme et qui estime que le pape ne cautionne pas ses idées peut prétendre que sur tous les événements brulants le souverain pontife n’a jamais été à la hauteur. Pour lancer un jugement aussi arbitraire et peu objectif Pascal Bruckner est peut-être atteint de myopie, ou, une fois de plus, il fait preuve de mauvaise foi.
Contrairement à ce que prétend monsieur Bruckner, loin de manifester de la complaisance envers les évêques soupçonnés de pédophilie, le pape François les a destitués. Plus d’une fois il a affirmé et mis en pratique son principe de « tolérance zéro ». Ce fut le cas avec l’épiscopat du Chili et avec d’autres évêques et cardinaux en Irlande ou aux USA.
Quant à dire que le pape François a transformé l’Église en une ONG dispensatrice d’eau bénite, il faut avoir une bonne dose d’ignorance et de préjugés. Dans plusieurs interventions publiques comme dans des documents plus officiels le pape a affirmé que l’Église n’est pas une ONG, que son message essentiel est l’annonce de la foi, de l’espérance et de la miséricorde. Mais ces notions échappent sans doute à un journaliste obsédé et malveillant.
L’article publié par Le Point est un brûlot de Pascal Bruckner. Plus postillon que philosophe, l’auteur est passé de disciple de Mao à celui de Sarkozi, il a changé plus d’une fois d’orientation et d’école au gré des modes et des tendances du moment. Son itinéraire témoigne d’une pensée fluctuante et opportuniste. À en croire son article dans Le Point, il rejoint les milieux conservateurs et traditionalistes qui, fort dérangés par les options évangéliques du pape François, le censurent en l’opposant à ses prédécesseurs.
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Au mépris de l'éthique
Le Secrétariat d’État à l’Économie (SECO) est satisfait. Cette année, au premier trimestre, les exportations de matériel de guerre ont augmenté pour atteindre un total de 205.2 millions de francs, alors que pour la même période, l’an dernier la somme était de 166.6 millions. Parmi les clients, les Émirats arabes (9.5 millions), Bahreïn (3 millions), l’Arabie saoudite (2 millions). Soit 14.5 millions destinés à des pays en guerre au Yémen.
Fidèle à son éthique, la Suisse avait interrompu ses livraisons à l’Arabie saoudite en mai 2015. En avril 2016, le Conseil Fédéral les a réautorisé, au terme d’un vote disputé : 3 contre 3 ! Grâce à Dieu, la septième voix, celle de l’unique membre PDC du Conseil fédéral a permis que les marchands de canons l’emportent. Du coup, le C de son parti en a pris un coup. Semons la guerre, si cela nous rapporte. Nous avons les Conventions de Genève pour apaiser notre conscience.
Juin 2018
Cruel et cynique
Aux USA, sur ordre du président Trump, 2342 enfants ont été séparés de force de leurs parents entre le 5 mai et le 9 juin. Des enfants de 4 à 10 ans souvent internés dans des camps provisoires!
Leurs parents sont incarcérés sans s’être rendus coupables de quelque délit que ce soit ; ils sont simplement entrés illégalement sur le territoire américain. La mesure dépasse toute mesure. Elle est si odieuse que de nombreuses voix s’élèvent dans le monde, bien au-delà des États-Unis où les protestations se multiplient. Non seulement de la part des adversaires politiques du président, mais même parmi les membres de son propre parti républicain. Jusqu’à la First Lady, Melania Trump qui a dit publiquement sa réprobation. Certains craignent même de voir se réveiller les vieux démons nazis qui ne dorment que d’un œil. Cruel et injuste, le fait d’arracher des enfants à leurs familles constitue une agression contre les Droits essentiels de la personne. Il est vrai que le président des États-Unis n’en a peut-être cure depuis qu’il a décidé de quitter le Conseil des Droits de l’Homme. Et pour cause ! L’Amérique, le pays de la liberté et du courage, aurait-elle perdu ses valeurs ? Comble de cynisme et d’ignorance, le ministre de la Justice, Jeff Sessions, a eu le toupet de justifier la décision présidentielle en citant hors contexte une phrase de l’épître aux Romains (ch. 13).
Mai 2018
L’observateur myope
Dans Le Temps du dimanche 27 mai, un chroniqueur pose son diagnostic sur la diminution de la pratique religieuse dominicale en particulier chez les catholiques. Avec plus d’assurance que de pertinence il explique: Comment les églises se sont-elles vidées.
Bon observateur, il constate que l’éloignement des fidèles est en partie dû aux nouvelles conditions sociologiques. La religion du weekend concurrence celle du Bon Dieu, le culte de la voiture renforce l’individualisme au détriment du communautaire. Au-delà de cette évolution des habitudes dominicales, le chroniqueur découvre dans les réformes du concile Vatican II la cause majeure de la désertion des églises catholiques. S’il en retient quelques aspects très superficiels, l’abandon du latin et de la soutane, il se fourvoie de belle manière en épinglant l’encouragement à l’engagement – entendez l’amour du prochain – au détriment de la piété. Myope, il n’imagine pas que les causes de cette désaffection sont à chercher au-delà de quelques éléments relevant de la mise en scène. Elles sont autrement plus générales et profondes, et elles dépassent le seul cadre catholique. Les Églises et paroisses issues de la Réforme ne doivent certainement rien au concile Vatican II. Leur situation n’est guère meilleure ! Tandis que sous d’autres latitudes, dans d’autres cultures, des Églises jeunes font preuve d’un dynamisme étonnant, précisément parce qu’elles ont été stimulées par les réformes du concile. Beaucoup de légèreté dans ce diagnostic, qui passe à côté des vraies causes de la diminution de la foi.
Avril 2018
Gaudete et Exsultate
La dernière du pape François Gaudete et Exsultate, sur l’appel à la sainteté dans le mondeactuel, est un vrai traité de vie spirituelle, pratique et accessible à tous.
Si le catéchisme propose surtout un enseignement sur les grandes vérités de la foi et de la morale chrétienne, l’Exhortation introduit à la pratique d’une vie inspirée par l’Évangile. Certes, vous n’y trouverez pas des recettes, mais une série d’orientations à l’adresse des personnes immergées dans le monde actuel.
Dans le langage simple et direct qui lui est familier, le pape François s’adresse au chrétien ordinaire en le tutoyant. Le ton est donné. Le pape se fait accompagnateur spirituel pour cheminer avec ses fidèles sur le chemin de la sainteté. Ici encore, il met en pratique l’enseignement du concile Vatican II sur l’appel à la sainteté, qui était resté plutôt théorique et en arrière-plan. Réaliste, le pape se réfère à la sainteté incarnée par les saints et les saintes, des hommes et des femmes qui, à diverses époques et dans divers milieux ont incarné l’Évangile.
Les ennemis de la sainteté
L’Exhortation commence par dénoncer deux ennemis de la sainteté, deux hérésies toujours actuelles. À l’aide d’exemples concrets, le pape François épingle les mouvements et les courants actuels qui falsifient le message du Christ.
D’un côté le gnosticisme, une doctrine facilement élitaire et intellectuelle, forte du seul recours à la raison, qui exalte la connaissance et évacue le mystère. Fondement d’une spiritualité désincarnée, qui ignore la transcendance et «prétend réduire l’enseignement de Jésus à une logique froide et dure qui cherche à tout maîtriser» (n°39).
À l’autre extrême, le pélagianisme, la tendance à vouloir se justifier devant Dieu en se fiant à ses propres forces; l’hérésie de ces personnes qui se sentent supérieurs aux autres «parce qu’elles observent des normes déterminées ou parce qu’elles sont inébranlablement fidèles à un certain style catholique» (n°49). Les mouvements traditionalistes sont dans la ligne de mire, et le pape illustre sa réflexion en multipliant les exemples pratiques tirés de l’actualité: l’obsession légaliste, la fascination pour des conquêtes politiques ou sociales, le souci excessif d’une liturgie ostentatoire, d’une Église et d’une doctrine prestigieuses, etc.
Au cœur, la pratique des Béatitudes
Le centre de l’Exhortation est certainement le chapitre où le pape explique que le cœur de la vie spirituelle consiste dans la pratique des Béatitudes, la «carte d’identité du chrétien». Un beau et long chapitre propose une actualisation de chaque Béatitude comme chemin de sainteté pour aujourd’hui. Un commentaire de la parabole du jugement dernier dans l’Évangile selon Matthieu (ch. 25) et l’évocation de saints comme François d’Assise et Mère Teresa de Calcutta mettent en garde ceux et celles qui seraient tentés de transformer le christianisme en une sorte d’ONG, en dissociant le soin des pauvres de leur propre relation personnelle au Seigneur.
Un chapitre marqué au coin du bon sens esquisse quelques caractéristiques d’une sainteté pour aujourd’hui: fidélité, patience et douceur dans un monde impatient et de violence, joie et humour dans une société désenchantée, audace et ferveur face aux tentations immobilistes et bureaucratiques, rôle de la communauté contre l’individualisme ambiant, et surtout importance d’une habitude de prière constante.
Sortir de la torpeur pour choisir
Qui dit vie spirituelle, dit nécessairement combat. C’est l’occasion pour le pape de dire que pour lui, le diable est un être réel, et pas seulement un mythe ou la simple personnification du mal. Un des plus grands dangers qui menace la sainteté est la corruption spirituelle, la torpeur de ceux et celles qui s’estiment justes parce qu’ils n’ont rien à se reprocher. Cette attitude fait plus de tort que n’importe quelle chute ou mauvais pas.
Pour finir, en bon jésuite, le pape développe toute un enseignement sur le discernement, une pratique devenue particulièrement nécessaire à une époque où chacun, et particulièrement les jeunes, est exposé à un perpétuel zapping, où tout est offert et tout est possible. Importance de faire des choix, de vérifier continuellement si le vin nouveau vient de Dieu ou pas, de ne pas vouloir changer sans raison ni de stagner dans l’immobilisme.
Mars 2018
Discernement
Dialoguant avec un groupe de jésuites, lors de son voyage au Chili, le pape François a affirmé qu’actuellement, le plus grand besoin de l’Église est la pratique du discernement, comme cela est très clairement exprimé dans les objectifs pastoraux de l’Exhortation Amoris laetitia. «Nous avons été habitués à du ‘c’est permis ou ce n’est pas permis’. La morale exposée dans Amoris laetitia est la morale thomiste la plus classique, celle de saint Thomas, mais pas celle du thomisme décadent que certains ont étudié. Moi-même, au cours de ma formation, j’ai appris le ‘c’est permis ou ce n’est pas permis’, ‘jusque-là c’est possible, jusque-là ce n’est pas possible’… Cette manière de faire de la théologie fondée sur des limites, nous en subissons encore les conséquences».
En dénonçant cette théologie du permis et défendu, le pape François met le doigt sur le malaise suscité par l’enseignement d’Amoris laetitia concernant la communion à des personnes divorcées et remariées. Des cardinaux, des évêques, de simples fidèles formatés par un enseignement légaliste n’ont pas hésité à accuser le pape d’hérésie. Plus inquiétants ces jeunes prêtres, à peine sortis du séminaire, qui critiquent avec beaucoup d’aplomb le pape. Déstabilisés par l’Évangile, ils se réfugient dans le Droit Canon.
Le discernement n’est pas une manière commode de s’affranchir du joug du légalisme. Il ne s’agit pas d’une science exacte, ni d’une théologie, mais d’un art délicat, d’une activité spirituelle. Sa pratique se vit dans la mouvance d’une vie qui cherche sincèrement à s’aligner sur celle du Christ. Elle suppose un climat de prière, la lecture assidue de l’Évangile et sa méditation. Elle requiert également le dialogue avec la communauté ecclésiale, qui, sans s’interposer entre Dieu et la personne pour lui dire ce qu’elle doit faire, la renvoie à elle-même et l’aide à rester objective dans sa recherche d’une solution. Tout un travail plus exigeant que l’application automatique d’un article de loi.
Février 2018
La clef dans le porte-monnaie
À cause du droit sacré au libre accès aux armes, les fous et les malfaiteurs sèment la mort aux USA. À grande échelle. Le nombre des victimes impressionne: 58 morts et 527 blessés le 1 octobre 2017 à Las Vegas, 17 jeunes collégiens en Floride le 14 février dernier pour la 18ème fusillade dans un établissement scolaire depuis le début de l’année.
Comment endiguer cette violence endémique dont la jeunesse paie le prix fort ? Valeureux va-t-en-guerre, le président des États Unis propose deux remèdes inattendus: interdire les mécanismes qui permettent de tirer en rafales, et armer les enseignants des établissements scolaires. Continuez à canarder vos victimes, mais qu’une à la fois ! C’est tout de même un progrès. Armons les victimes potentielles. Plutôt que de désarmer la violence opposons lui la violence. La guérilla au service de la paix et de la sécurité ! Mais par-dessus tout que l’on ne touche pas au principe sacré, ancré dans un amendement de la Constitution: «Une milice bien organisée étant nécessaire à la sécurité d'un État libre, le droit qu'a le peuple de détenir et de porter des armes ne sera pas transgressé.» À qui demanderait où le président va chercher ses solutions, une jeune collégienne de 18 ans, Emma Gonzales, rescapée de la dernière fusillade de Floride, répond: «Si le président me dit en face que c’était une terrible tragédie (…) et qu’on ne peut rien y faire, je lui demanderai combien il a touché de la National Rifle Association. Je le sais: 30 millions de dollars… C’est ce que valent ces gens pour vous, M. Trump?» 30 millions de dollars de la part du NRA dont le revenu annuel en 2016 était de 400 millions en 2016, une paille! Mais 30 millions c’est tout de même un peu plus que les 30 deniers auxquels a été vendu le plus grand innocent de tous les temps. La clef du problème se cache dans le porte-monnaie
Janvier 2018
Une myopie pas si innocente
Jamais, comme en ce début d’année, l’argent n’a été aussi scandaleusement omniprésent. Davos a occupé le devant de la scène, avec, en vedette, le commis-voyageur américain qui fait de la politique à la manière d’un marchand de tapis. Et, puisque le changement d’année invite à vérifier sa cassette, cet étonnant bilan : en 2017, le 1% des personnes les plus riches n’ont pas seulement accaparé le 83% de la richesse, mais grâce à des manœuvres fiscales elles ont soustrait 200 milliards de dollars au fisc. Une performance d’autant plus redoutable qu’il naît un milliardaire tous les deux jours. Pour l’an passé, on en compte 2050. En 2016 leur richesse a augmenté de 730 milliards de francs, une somme qui permettrait d’en finir pas moins de 7 fois avec la pauvreté extrême dans le monde.
Une chose me semble évidente. Lorsque la richesse devient si vaste et disproportionnée, les frontières de la réalité sont repoussées si loin que les besoins ordinaires de la majorité se trouvent hors du champ visuel.