© ChappatteÀ l’occasion de l’exposition du dessin de presse, présentée au Musée des Beaux-Arts du Locle, j’épingle le rôle de l’humour dans la vie sociale. Comme le signale un confrère de la presse romande, l’exposition, «conçue autour de Chappatte (…) célèbre l’importance du dessin de presse comme outil démocratique» (site du Temps, jeudi 13 février 2020). C’est dire trop et trop peu.
Le dessin, fut-il de presse ou d’illustration d’un livre, d’un document administratif, n’a pas la même fonction que l’écrit. Le dessin vise à ébranler, à déranger, à émouvoir, à indigner. Il agit sur les motivations. Il cherche à faire bouger. -Un schéma vaut mieux qu’un long rapport, disait Napoléon.- Ce rôle pratique est indispensable pour une vie démocratique qui ne se contente pas de juxtaposer des opinions divergentes murées dans des convictions isolées et agonistiques. À la manière d’un schéma et à la différence du dessin d’art, le dessin de presse est présenté sur un horizon d’action. C’est la raison pour laquelle un dessin de presse tend toujours vers la caricature. Mais il est malhabile pour expliciter les linéaments d’une pensée et la logique d’une position. Comme le flash, le dessin éclaire violemment un point crucial. Il travaille dans l’immédiat. C’est pourquoi le rôle complémentaire du rédacteur est indispensable si l’on ne veut pas simplement ébranler, mais également nourrir l’intelligence.
J’ajoute deux sous dans la musique en distinguant l’humour et l’ironie. Pour contribuer à la vie démocratique, le dessin de presse doit en effet cultiver l’humour davantage que l’ironie. Car l’humour consiste à rire avec les autres, et spécialement avec ceux que l’on veut convaincre. L’humour ne se prend jamais totalement au sérieux, et c’est pourquoi il est facilement entendu de ceux qui, par ignorance, par indifférence, ou par culture, campe dans un univers mental éloigné. Il cherche à convaincre, laissant à l’intelligence du lecteur le soin de suivre. «Mes raisons me viennent après», écrit Blaise Pascal au Duc de Rouannez.
L’ironie, en revanche, sépare, isole. Elle ne rit pas avec, elle cherche à mettre les rieurs de son côté; elle rit contre, et nourrit l’antagonisme et la division. Elle se tient en surplomb, à un niveau autoproclamé supérieur, dans une position un peu méprisante qui se veut imprenable. En ce sens, elle n’a pas grand’chose de l’esprit démocratique qui cherche non pas à diviser les citoyens, mais à composer leur diversité.
L’humour est l’une des principales qualités spirituelles; ne se prenant pas au sérieux, il est capable de cette intelligence du cœur qui comprend les positions adverses, même quand il ne les partage pas ou même les combat. C’est ce que j’aime dans les dessins de Chappatte.