La FINMA vient de condamner un banquier suisse à… restituer les 750'000 francs indument gagnés par le moyen illégal d’un délit d’initié. Certains s’en étonne. Non pas que l’on ne puisse pas garder un gain illégitime, mais parce qu’aucune sanction supplémentaire n’ait été prononcée.
Cette situation semble typique du système helvétique qui résiste avec raison contre le «tout-judiciaire» venu d’outre-Atlantique, où les rapports sociaux ne se vivent pratiquement que sous le mode du contentieux. Dans les pays limitrophes de la Suisse, en France notamment, le gendarme de la Bourse peut sanctionner pécuniairement une attitude fautive. C’est ainsi que, voici deux décennies, feu Pierre Berger, PDG de la société Yves-Saint-Laurent, avait vendu deux paquets d’actions de la susdite société juste avant la publication des comptes semestriels qui, cette année-là, se révélaient médiocres. L’autorité des marchés l’avait pénalisé, au titre d’un délit d’initié qui semblait évident. Peine annulée par les tribunaux saisis par le coupable; car la sanction contrevenait à la littéralité de la loi qui définissait en France délit d’initié, et ne prévoyait de sanction, que si les actions avaient été vendues «sur le marché». Or la vente litigieuse s’était faite non pas sur le marché, mais en bloc, au profit, -si j’ose dire,- de deux banques suisses.
Le principe de l’interprétation stricte des textes pénaux avait joué en faveur du prévenu. Comme dans l’Église catholique romaine, dont le code de droit canonique est un texte de nature pénal: tout ce qui n’est pas explicitement interdit ne peut entraîner de sanction, et toute sanction qui n’est pas explicitement désignée est interdite. C’est sur cette base que, par exemple, aux termes de l’ancien article 2335 du code de 1917, les catholiques pouvaient légitimement adhérer aux loges maçonniques qui ne militaient pas «contre l’Église et les pouvoirs établis».
L’interprétation stricte des textes pénaux est la base de la sécurité juridique, réclamée notamment par maints Cahiers de doléance à l’aube de la Révolution française.
Quoi qu’il en soit de cette argument juridique, l’absence de sanction administrative de la part de la FINMA suscite l’étonnement. Ne favorise-t-elle pas la multiplication de tels actes en n’exigeant que la restitution des biens mal acquis? Peut-être. Dans d’autres pays, certaines Autorités administratives jouissent d’un pouvoir de sanction; ailleurs, ils peuvent «transmettre le dossier» à l’instance judiciaire qui pourra, ou non, prononcer une sanction. J’ajoute deux sous dans la musique. Dans tous les cas, il me semble important que, face à une sanction administrative, un recours soit toujours possible auprès d’une instance judiciaire, mieux à même d’assurer les droits de la défense. À défaut, on glisse vers une société régie par les appareils d’État, une société sans Justice, je veux dire totalitaire.