Étienne Perrot sj - «Par crainte que les livres Harry Potter (sic) invoquent des ‘esprits maléfiques’, un prêtre d’une école catholique aux États-Unis les a bannis de son établissement» (site de La Tribune du 4 septembre 2019). Tout en faisant la part des exagérations, simplifications et caricatures propres à la logique journalistique auxquelles La Tribune ne saurait échapper sans se renier, j’épingle ce témoignage de la stupidité cléricale.
J'ignore ce qui passa dans la tête des exorcistes qui ont suggéré une telle décision. Quoi qu'il en soit, trois incohérences s’étalent en effet dans cette brève information. La première consiste à prêter à un livre le pouvoir d’invoquer les esprits maléfiques. Certes, l’invocation des esprits est une pratique connue depuis la nuit des âges; mais jamais un objet -grimoire, livre, fontaine, source, ou pierre sculptée- n’a été présenté comme ayant pouvoir, par lui-même et sans intervention humaine. Le vecteur physique est toujours mis en œuvre par un geste humain. Ce prêtre américain croit peut-être que le lecteur ne joue aucun rôle.
Sa seconde incohérence est de penser que les esprits maléfiques se promènent dans l’atmosphère ou sont enfermés dans un livre à la manière des génies du conte des Mille et une nuits enfermés dans une bouteille. Il oublie que l’esprit d’un texte ne place pas au-dessus du texte; l’esprit du texte se révèle dans la relation entre le texte et le lecteur. Lire ne consiste-t-il pas, justement, à faire le lien (entre les mots, les phrases, les paragraphes, les chapitres)? Or, faire le lien entre des éléments qui sont préalablement distingués est justement le propre de l’esprit.
La troisième incohérence est, à mes yeux, la plus grave, puisqu’elle est le fait d’un prêtre catholique. Elle consiste à ne pas savoir discerner les esprits. L’esprit d’enfance, suscité par l’école de la magie où s’amusent Harry Potter et ses amis, est sans doute bien éloigné du sérieux que veut promouvoir ce prêtre catholique dans son école; cet esprit d’enfance n’en est pas moins indispensable pour l’épanouissement de l’enfant. Contre cette volonté des parents et des éducateurs de couler leurs enfants dans le moule de la posture adulte, faisant de l’enfant un adulte en réduction –avec toutes les exigences coercitives qui s’en suivent- il est de bonne sagesse et de saine pédagogie d’accepter que l’enfant franchisse plusieurs stades avant d’accéder au statut de l’adulte pleinement responsable.
Cette ignorance me semble d’autant plus coupable chez ce prêtre américain que ce qu’il nomme «esprit maléfique» est ce que la tradition spirituelle moderne, depuis Loyola, discerne par ses effets de séparation, d’isolation et d’enfermement en soi-même; c’est le «mauvais esprit» au sens le plus habituel du terme, un esprit qui isole du groupe, qui sépare de la communauté humaine, et cherche à manipuler pour dominer; Or, tout en faisant droit à l’émulation et la concurrence entre groupes d’enfants, ce mauvais esprit ne domine pas les histoires d’Harry Potter; bien au contraire, puisque le héros lutte sans cesse contre lui.