Étienne Perrot sj - «Cela durera autant que les impôts!» Mon grand-père utilisait cette comparaison pour désigner un phénomène qui n’aura pas de fin (dans le genre des discussions sur le temps qu’il fait, sur les mérites respectifs du vélo ou de l’auto ou encore -last but not the least- sur la justice fiscale). À ces discussions interminables, car elles portent sur des situations où toutes les options comportent du pour et du contre, et où les valeurs en jeu sont différemment appréciées selon la situation de chaque interlocuteur, s’ajoutent en ce qui concerne les impôts, l’idée -parfois vraie- que le voisin en paie moins que moi, alors qu’il est plus riche. Bref, ce problème de justice est un problème d’ajustement de l’assiette et du barème selon les situations de chacun. Il conditionne le lien social; ce qui n’est pas son moindre enjeu.
Écoutant ce papotage, potage difficile à avaler pour quiconque est soucieux de justice, un économiste de bon sens, professeur à l’université de Fribourg, ajoute un grain de sel qui mérite d’être épinglé. Il réfute une idée simpliste, tirée de l’idéologie libérale, selon laquelle les entreprises ne réagissent positivement qu’aux baisses de la pression fiscale. Je cite ses propos tirés d’un blog qu’il a fait paraître lundi 15 avril 2019 dans Le Temps: «Ce qui compte (pour la présence des entreprises dans un canton), c’est la qualité des services publics de toute sorte -y compris la bureaucratie-, la stabilité économique et financière, la disponibilité de terrains à bâtir et de personnel qualifié, l’accessibilité aux infrastructures de communication et la qualité des soins médicaux. Beaucoup de ces variables ont un lien direct ou indirect avec les dépenses publiques, que les impôts doivent contribuer à financer pour éviter que l’État s’endette trop.»
Je ne peux que souscrire aux propos du professeur de Fribourg. À deux nuances près. Il ne faudrait pas en conclure que le taux d’imposition n’a pas d’importance; certes, il joue en concurrence avec les éléments cité par l’économiste; mais, à environnement géopolitique et institutionnel comparable, l’impôt fera la différence. De plus, l’attractivité de cet environnement peut varier assez vite, et ce type de rente dont bénéficie la population locale et son administration peut se révéler évanescente, surtout si la demande fléchie, seule vrai moteur de l’investissement et de l’activité économique et de l’emploi. Reste ce discernement permanent (choisir, dirons-nous !) qui vise à trouver un équilibre précaire qui fera marcher les responsables de l’impôt sur un chemin de crête entre deux abîmes: l’essoufflement du corps social dans la course à la productivité et l’enlisement dans un terrain social de plus en plus difficile à financer.
Sur ce terrain, les Suisses, qui savent que les lois sont l’émanation du peuple, me semblent dans une situation plus favorable que les français, pour qui l’État est cette merveilleuse institution qui permet à chacun de croire qu’il peut vivre au dépend de tous les autres citoyens.
Étienne Perrot sj