© Wikimedia CommonsÉtienne Perrot sj - Les symboles ont la vie dure. Ils n’ont jamais mieux mérité leur étymologie qui en font des signes de reconnaissance entre gens initiés dans le même groupe. Dans la Bible, la manière de prononcer Schibboleth servait à discriminer les bons des méchants; chez les Francs-maçons, le «mot de semestre» permet de séparer les Frères des profanes; dans la liturgie chrétienne, on parle encore du «symbole» des apôtres, et du «symbole» de Nicée, que l’on prononce avant d’entrer dans la célébration des mystères; la tradition un peu romantique du mot de passe, en usage naguère dans l’armée avant la généralisation des codes d’accès, permettait de séparer les amis des ennemis.
Le foulard dit islamique joue un rôle semblable; mais inversé. Fondamentalement l’hidjab est un signe de reconnaissance entre musulmanes, qui distingue, pour celles qui le porte, les coreligionnaires des adeptes d’autres religions ou de celles qui n’en professent aucune. Reconnu dans l’espace public, l’hidjab (comme d’ailleurs la kippa ou encore comme la croix ou n’importe quel habit soupçonné d’être religieux) est devenu une sorte de chiffon rouge qui, parce qu’il est investi d’une signification communautaire, excite toutes celles et ceux qui fantasment sur la religion (musulmane principalement). L’hidjab est ainsi devenu un signe de reconnaissance, moins pour celles qui le portent que pour une frange de l’opinion publique. Ce fut l’un des points controversés de la récente loi genevoise sur la laïcité.
Hors du canton, l’hidjab est assimilé par une culture de plus en plus tolérante. Les grands couturiers n’hésitent plus à coiffer certains de leurs modèles du foulard dit islamique. En témoignent également les compétitions sportives internationales où l’on voit apparaître désormais quelques femmes arborant sur la tête cette pièce de tissu. (Non sans susciter des polémiques chez les tenants de la laïcité à la française.) On se souvient en France des protestations contre la commercialisation d’un foulard islamique adapté à la pratique du sport.
Sur ce sujet, j’épingle une formule discutable glanée sur le site du Temps le 1er mars 2019. Faisant état de l'apparition de l’hidjab dans les compétitions sportives internationales, le chroniqueur pose la question: «Conquête ou contrainte pour la femme, le débat n'est toujours pas tranché». Je souhaite personnellement que ce débat ne soit jamais tranché. Car, l’expérience de chacun, en Suisse ou à l’étranger, conduit à des interprétations légitimement divergentes. Que le poids du groupe et les contraintes de la tradition sociale s’habillent de prétextes religieux pour imposer une pratique vestimentaire contraire à l’idée que le libéralisme culturel se fait de la liberté individuelle, c’est évident. Mais il n’est pas moins évident que, surtout dans un pays libéral comme la Suisse, on ne saurait prêter à la pression sociale un tel pouvoir. Reste aux autorités civiles et politiques la responsabilité de veiller à ce qu’il en soit bien ainsi. Il en va du respect de la liberté de chacune. Aucune organisation privée, religieuse ou associative, ne peut légitimement y mettre un frein. Mais, sauf à quitter l’État de droit, cette responsabilité des autorités civiles et politiques ne peut aller jusqu’à imposer une interprétation officielle à une pratique personnelle -le port de l’hidjab- dont la signification relève du seul individu.