Étienne Perrot sj - La complexité de la politique de développement soutenable a connu sa première manifestation publique et internationale en 1992, au premier «sommet de la terre». Selon la formule de l’époque, il s’agissait de concilier les exigences écologiques, économiques et sociales. Couplées deux par deux, ces exigences permettent d’assurer un développement viable (écologique et économique), vivable (écologique et social) et l’équitable (économique et social). Le soutenable se plaçait à l’intersection de ces trois valeurs, le viable (long terme), le vivable (court terme) et l’équitable politique. Très vite, sous la pression de la crise économique, dans beaucoup de pays, l’écologie fut sacrifiée au nom du social, et le long terme au nom de l’urgence. Ce qui donne une valeur particulière à une quatrième exigence, sorte de capitaine d’Artagnan dans la trinité du roman Les trois mousquetaires d’Alexandre Dumas, l’exigence de gouvernance démocratique, garante de l’équité.
© Oliver s/de.wikipedia.org./Wikimedia CommonsDans ce décor se place aujourd’hui une scène politique valaisanne. Pour revoir à la baisse -dans tous les sens du mot- les exigences de la loi fédérale sur l’eau qui définit les débits minimaux des rivières, et ainsi permettre une plus longue exploitation des usines hydro-électriques en cas de sécheresse, «une initiative du canton du Valais veut revoir à la baisse les débits résiduels minimaux des cours d’eau, afin de favoriser la production hydroélectrique. Les associations de protection de la nature s’en offusquent.» (Le Temps du mardi 22 janvier 2019) Le journaliste titre: «Hydroélectricité: la guerre économie contre écologie».
En fait, il ne s’agit pas simplement de l’économie des producteurs d’électricité d’origine hydraulique contre l’écologie des défenseurs de l’or bleu et des poissons. Car l’initiative est présentée comme un moyen de réaliser l’objectif écologique de la transition énergétique suisse à l’horizon 2050. Expertises et contre-expertises vont bon train. Les uns prétendant qu’une norme diminuée de moitié suffirait à satisfaire les nécessités écologiques, les autres contestant les conditions très particulières dans lesquelles se sont déroulés ces études. Quoi qu’il en soit, dominée par l’économie, une partie du débat se situe à l’intérieur des multiples exigences écologiques.
Bien sûr, il existe certainement d’autres moyens d’atteindre le résultat souhaité dans trente ans. Mais, ici comme dans beaucoup de sujets politiques, le flou sert de cache sexe aux militants de tous bords. Histoire de rappeler que la politique est autant l’art de faire croire que l’art des possibles. Comme souvent, les options qui émergent portent des valeurs difficiles à concilier. «Le ciel des valeurs est un ciel déchiré» disait Jankélévitch. Reste aux politiciens à trancher en faveur de compromis qui, je le souhaite pour le Valais et pour la Suisse, sauvegardent le long terme.