par Étienne Perrot sj - Voici un an, le 13 mars 2020, le Conseil fédéral décidait, -outre une restriction quant à la fréquentation des restaurants et des grandes manifestations, la fermeture des écoles. En Suisse comme dans la plupart des pays qui ont pris une semblable mesure, les enseignants ont réalisé le tour de force d’adapter leurs moyens électroniques et leur pédagogie, de manière à ne pas laisser en jachère les jeunes intelligences. Au terme d’une année, le bilan de ces adaptations reste médiocre. Les espoirs placés dans ces moyens pédagogiques up to date se sont révélés, à l’usage, moins efficaces qu’espéré, tout en exigeant des enseignants un effort supplémentaire d’adaptation. La gratification la plus noble -celle du plaisir d’enseigner et de voir grandir l’intelligence des élèves- fut rarement au rendez-vous. Maigre fut la compensation de pouvoir travailler chez soi. À quoi s’est ajouté une frustration soulignée par les sociologues: ici comme dans le domaine économique, la pandémie a creusé les écarts entre les enfants selon leur contexte familial, culturel et social.
Ces résultats ne m’étonnent pas. Je me souviens encore de ma stupéfaction dubitative lorsque, en 1975 déjà, un représentant d’IBM était venu dans notre lycée parisien (l’un des meilleurs de France) présenter devant les professeurs, je cite: «un pédagogue omniscient, infiniment patient, toujours disponible, capable d’exercer les élèves autant de fois que nécessaire» (il aurait pu ajouter «qui ne fera jamais grève»). Il s’agissait, bien sûr, d’une machine électronique interactive, telle qu’on pouvait déjà en voir -moins développées- dans certains musées américains.
Une longue carrière d’enseignant m’a montré que mon intuition de jeune professeur ne m’avait pas trompé. Comme dit le proverbe: «pour enseigner l’anglais à John, il faut connaître l’anglais; mais il faut aussi connaître John». Or on ne connaît John qu’en observant ses réactions, ses moments d’attention, ses gestes de lassitude, et pas simplement ses devoirs rédigés sur table ou à la maison. Et cela ne peut s’observer qu’en «présentiel», comme on dit maintenant. La chose est tout aussi vraie pour une conférence. Certes, la plupart du temps, l’auditoire ne manifeste pas ostensiblement son ennui; mais -face à des gens polis- il y a des «bruits de fesses» qui ne trompent pas. (Quand l’attention décroche, le corps se détend et les fesses glissent sur la chaise; ce qu’un professeur ou un conférencier aguerri ressent immédiatement.) Inversement, certaines qualités de silence marquent l’attention de l’auditoire.
À cela s’ajoute le fait que la plupart des appareillages électroniques utilisés pour pallier l'absence à l’école laissent l’élève seul face à son écran et son clavier. Or -si l’on met à part l’enseignement de haut niveau où le professeur présente les méthodes particulières et les résultats de ses recherches- la présence des camarades de classes présente souvent un atout appréciable. Comme me le disait une étudiante, non sans malice: les balbutiements d’un camarade sont parfois plus éclairants que le cours magistral du professeur. Là encore, il faut connaître John.