Heureuse République Genevoise! Un récent éditorial du Temps craint «l’inertie politique» provoquée par les méthodes de la Cour des comptes de Genève. Évidemment, il est difficile d’attaquer de front l’objectif de salubrité publique des contrôles exercés par la Cour des comptes sur les dérapages et présentations financières hasardeuses des entités publiques. Comme toujours, lorsque le fond est inattaquable, on critique la forme, la méthode, le ton.
Je mets deux sous dans la musique en rappelant que compter et conter ont la même racine, comme le savent d’emblée les petits écoliers et les institutrices des écoles maternelles et paternelles qui enseignent aux enfants à compter avec des comptines enfantines. En vieillissant les étudiant·e·s apprennent qu’une comptabilité n’est qu’une interprétation d’une situation économique. Ce qui explique que, comme toute interprétation, sa cohérence est relative à un point de vue, qui n’est qu’une vue à partir d’un point. Or, en économie, plusieurs points de vue sont possibles qui fournissent autant de cohérences. Une comptabilité fiscale n’est pas une comptabilité de gestion. En outre, chaque pays a son système de comptabilité fiscale, et chaque gestionnaire, selon ses objectifs et sa vision de l’environnement, a également le sien.
Ce qui est épinglé par l’éditorialiste du Temps est le poids que fait peser les règles comptables de la Cour des comptes sur la gestion des organismes relevant de l’État de Genève. Au nom de la transparence, de la rigueur et -n’ayons pas peur des mots- de la méfiance envers les dérapages budgétaires pour ne pas dire de la corruption, la Cour des comptes impose, avec des méthodes de «shérifs», un carcan qui «tétanise» les responsables de l’État, des communes et des établissements publics.
Je vois dans la critique des méthodes utilisées par les contrôleurs le reflet d’un esprit idéaliste qui, ici comme ailleurs, dans une vision unidimensionnelle, réduit toute la vie sociale et politique à un seul et unique critère comptable. Vision jacobine, dirait-on en France, celle qui, lors de la Révolution de 1789, a mené à la Terreur. La moralité au nom de laquelle agit la Cour des comptes est celle du moralisme kantien. Morale déontologique, diraient les éthiciens, celle du devoir qui, bien fait, n’a pas à se préoccuper des conséquences. Que le monde croule pourvu que les comptes soient justes et que l’on ne puisse rien me reprocher ! C’est la dérive de toute Compliance dépourvue de la vertu de prudence.
Alors que faire? Élargir la mission de la Cour des comptes? Ou du moins ajouter à son objectif de contrôle une approche plus pédagogique pour les cas qui ne relèveraient pas manifestement de l’incurie ou de la corruption. Au final, je ne peux pas m’empêcher de penser: heureuse République de Genève où – à la différence notoire de celles de la France voisine – la Cour des comptes «compte» aux yeux des responsables de l’État, des communes et des établissements publics!