Étienne Perrot sj - Un pasteur allemand, installé dans la commune d’Andeer, veut construire au milieu de la vallée de Schams, dans les Grisons, «une église» disent les médias, un temple peut-être, ou tout simplement un lieu de recueillement, en bordure de l’autoroute A13. Ce lieu, qui semble être «in middle of nowhere», disent les Anglais (au milieu de nulle-part), est pourtant judicieusement choisi. L’autoroute est un lieu de passage; qui plus est, dans ce cas, au milieu d’un magnifique site touristique.
Il paraît qu’en Allemagne, la formule fait flores. Des chapelles, des églises, des temples, attirent ainsi des milliers de touristes ou de fidèles. À vrai dire, contrairement à ce que prétendent les journalistes incultes qui ont relayé l’information, l’idée n’est pas neuve. Au début des années 1950, à Ronchamp en Haute-Saône (France), le Suisse Charles-Édouard Jeanneret, plus connu sous le nom de Le Corbusier, avait bâti une chapelle qui attire touristes et visiteurs sur le flanc d’une colline éloignée de tout.
Le secret de cette attirance est bien sûr le nom illustre de l’architecte. Je ne parlerai pas de la beauté du bâtiment, que je préfère admirer de l’extérieur plutôt qu’à l’intérieur. Avec les mêmes sentiments partagés, j’apprécie également la chapelle du couvent dominicain de l’Arbresle, près de Lyon, bâtie à la même époque, elle aussi sur une colline éloignée, selon les plans du même architecte.
Lorsqu’il a fallu construire la cathédrale du nouveau diocèse d’Évry, près de Paris, les promoteurs firent appel à un architecte célèbre. C’est de bonne guerre si l’on veut attirer donateurs et financeurs. L’église d’Andeer se coule dans la même logique. Le pasteur a fait appel à l’un des meilleurs cabinets d’architectes bâlois, célèbre à Paris, Herzog & de Meuron. Si le financement est au rendez-vous, ce bâtiment prestigieux devrait voir le jour en 2022.
J’ajoute deux sous dans cette belle musique architecturale. J’approuve pleinement la posture de la présidente du Synode de l'église réformée du canton alpin, pour qui, semble-t-il, ce projet représente justement une solution d'avenir (?) pour le christianisme: «Lorsque les gens ne viennent pas à l'église, c'est elle qui doit aller à eux». Pour ce faire, il convient de les rencontrer là où ils sont; j’allais dire là où ils peuvent -et ont envie- de s’arrêter. «No parking, no business», disent les créateurs de supermarchés.
Tout cela est très bien, à condition de ne pas oublier l’essentiel. La belle architecture, comme la belle musique, comme les beaux tableaux, ne donnent pas automatiquement sens religieux au sentiment esthétique. Contrairement à une récupération illusoire, l’esthétique et le religieux ne coïncident pas. Pour les joindre, il y faut une parole, une parole qui a tous les caractères de l’éthique, en touchant l’intelligence aussi bien que le cœur. Pour s’y préparer, il faut non seulement s’informer, se former, poursuivre des études sérieuses, mais surtout, s’approprier la Parole que l’on prétend vitale. Comme le soulignait Kierkegaard qui, au milieu du XIX° siècle, trouvait que prêchaient mal les pasteurs de son temps, une bonne prédication a toutes les caractéristiques d’un vrai dialogue. Son secret, c’est l’intériorisation.