Le billet spirituel de Luc Ruedin sj
Des Exercices spirituels aux billets du même nom, il y a un large pont que Luc Ruedin sj emprunte aisément depuis de nombreuses années. Chaque mois, il propose ici une nouvelle balade réflexive. À suivre sans modération.
Né en 1962, entré chez les jésuites en 1995, Luc Ruedin sj accompagne les Exercices spirituels, donne des sessions sur divers thèmes (Prière du cœur selon la tradition de Franz Jalics sj, Etty Hillesum, Georges Haldas, etc.). Le Père Ruedin, travailleur social et théologien, est également membre du comité de rédaction de la revue choisir. En septembre 2016, il a été nommé accompagnant spirituel au service de l’aumônerie œcuménique du CHUV.
Lui écrire
Luc Ruedin sj - «Saisissez donc l'armure de Dieu, afin qu'au jour mauvais, vous puissiez résister et demeurer debout, ayant tout mis en œuvre. Debout donc! À la taille, la vérité pour ceinturon, avec la justice pour cuirasse et, comme chaussures aux pieds, l'élan pour annoncer l’Évangile de la paix. Prenez surtout le bouclier de la foi, il vous permettra d'éteindre tous les projectiles enflammés du Malin. Recevez enfin le casque du salut et le glaive de l'Esprit, c'est-à-dire la Parole de Dieu.» (Eph, 6,13-17)
Regardez les athlètes des jeux olympiques! Qui peut se comparer à ces valeureux combattants? Je reste toujours émerveillé devant les exploits réalisés par les Usain Bolt et autres champions. À force d’abnégation, d’exercices, de volonté et grâce aux dons reçus, les voici hissés sur les plus hautes marches du podium. Éblouissantes ces envolées en saut en hauteur; impressionnantes ces performances des marathoniens; grisantes ces pointes de vitesse des sprinters; gracieuses ces figures des gymnastes… et les records tombent, les applaudissements fusent, les médailles récompensent les meilleurs. Défiant les lois de la nature et les limites de la condition humaine, ces héros du stade enthousiasment les foules. Auréolés par leurs exploits, ils semblent venir d’une autre planète. Des sommets de l’Olympe ils apparaissent dans la gloire.
Et nous? N’avons-nous pas, alors que nous menons le combat de la foi, à gagner la palme promise? Certes, notre arme est autre. Elle est d’Esprit. Ce ne sont pas tant les lois de la nature ou les limites de notre corps que nous avons à défier. Notre combat aussi est autre. Il a lieu contre tout ce qui en nous et autour de nous refuse la victoire acquise par le Christ. Ces forces obscures, ces énergies spirituelles destructrices qui nous aveuglent, nous asservissent et nous emprisonnent ne sont-elles pas plus dangereuses et difficiles à vaincre que les pesanteurs et l’inertie auxquelles sont affrontés les athlètes du stade?
La Parole nous met debout et fait vivre. Le bouclier de la foi, éteignant les pensées mortifères qui nous font dévier de notre route, nous donne de La recevoir telle qu’elle est: vivante, créatrice, agissante. Grâce au glaive de l’Esprit qui nous fait revêtir le casque du salut nous en pénétrons alors le sens et discernons ce qui nous attriste, nous trouble et nous empêche de nous tenir debout. Qu’advenant alors à la Vérité, celle-ci nous ceigne et nous libère par la Justice qui imprègne toute notre existence, et nous voici saisis par la Paix venue d’ailleurs. Comprenant que nous sommes sauvés de notre dernier et plus redoutable ennemi, la mort, nous exultons de joie.
Encore faut-il nous revêtir du bouclier de la foi!
Luc Ruedin sj
Usain Bolt après sa victoire aux Jeux de Londres © J. Brichto/Creative Commons
Aujourd’hui qui parle encore de libération? Voici plus de 50 ans, ce mot était sur toutes les lèvres: Mai 68 et sa révolution mettaient à mal l’ordre bourgeois établi. On croyait avoir dégagé la liberté de son carcan en lui ouvrant les larges horizons du libre choix sans contrainte. Hélas, elle a vite été récupérée par la machine socio-économique qui l’a asservie et réussit à l’endormir. Car le désir, je veux dire ce mouvement incompressible qui trouve racine en-deçà de l’homme, le met en mouvement et le projette vers l’Infini, ce désir de liberté est fragile. Il peut vite être manipulé et défiguré, que ce soit par un système religieux étouffant ou par le néo-libéralisme à tous crins de nos sociétés post-modernes qui ne se prive pas de le détourner à des fins bassement mercantiles.
Comment redonner alors le goût de la liberté à notre monde? Comment la libérer de ces pièges idolâtres et lui permettre de nous mettre debout, de faire de nous des Vivants? N’est-ce pas en témoignant de la résurrection que le souffle de la Pentecôte nous donne d’incarner dans notre monde? Tel l’IRM médicale -Imagerie par Résonance Magnétique- qui utilise un champ magnétique très puissant pour générer une image des organes et des tissus internes, l’IRM divine -Initiative, Reconnaissance et Mission- qui structure les récits d’apparition du Christ à ses disciples peut, par l’Esprit, générer en nous un tissu relationnel invisible à l’œil nu, mais perceptible aux yeux de la foi. En effet, l’initiative du Ressuscité qui se montre le même et pourtant tout-autre, au point que ses disciples ont de la peine à le reconnaître, provoque les témoins de sa Présence à en proclamer la mystérieuse proximité à leurs frères et sœurs.
Sous les traits du jardinier, le Ressuscité interpelle Marie de Magdala; cet appel éveille son identité profonde, indissociable du désir de la Présence de son Seigneur. Les ondes de cette voix unique entre toutes la rendent à elle-même. Elle le reconnaît alors comme son Rabbouni. Intimée à ne pas le retenir et à témoigner de cette Présence qui fait naître en elle «la femme intérieure», toute à la joie de la vraie liberté, elle rejoint ses frères. En cette expérience indicible, elle a traversé l’ultime contrainte de la condition humaine: la mort.
Telle Marie, ne devrions-nous pas nous brancher plus souvent sur l’IRM de la Résurrection? Ouvrir notre cœur à l’initiative toujours déconcertante de Dieu et reconnaître sa Présence nous donnent de nous découvrir aimés sans raison, gratuitement. Et puis, vivre simplement cette Mission: transmettre ce champ magnétique qui, en irradiant notre espace relationnel, fait apparaître l’image d’un Dieu de liberté et entrer dans une expérience de fraternité.
Luc Ruedin sj
© Beat Altenbach sj
À l’impossible nul n’est tenu! S’y tenir tient du miracle. Qui peut y prétendre? Y tendre peut-être et encore! Le possible est déjà suffisamment contraignant. L’accomplir au jour le jour requiert effort, persévérance, ténacité. Chacun connaît l’exigence: tâches à remplir, promesses à tenir, attentes à satisfaire. Heureux qui va ce chemin et découvre la fécondité de sa fidélité. Sa vie prend forme et cohérence. Il recueille des fruits de paix et de joie. Faisant son possible, il lui est alors donné de croire que la vie est bonne.
Ceci malgré ou plutôt grâce à ses défaillances. Multiples, elles le rappellent à l’humilité qui lui offre justement de mieux recevoir la vie. Elles lui permettent d’incarner l’idéal qui l’anime et l’intime à l’exigeante réalisation de soi. En effet, il peut sans le relativiser mettre en œuvre son idéal. Il lui confère une figure humaine unique et précieuse par la singularité de son itinéraire. Utiles ces défaillances le sont aussi au sens où elles lui donnent sa mesure et la mesure: il connaît ce qu’il peut et où il faillit. Il agit au rythme qui lui convient. Ni trop vite, ni trop lentement. Au juste moment. Dans la force du mouvement ou la retenue du geste. Il accomplit ainsi son existence d’homme. Qui va ainsi se découvre surpris de recevoir la vie de ses fragilités. Lui est manifesté qu’il peut se tenir debout en toute situation. Ou presque. Reste la mort! À l’impossible nul n’est tenu.
Si. Quelqu’un. Jésus-Christ! Lui l’a tenu. Un jour il a accompli la Pâque. Il a retourné la mort en Vie. Accomplissant sa vie jusqu’à l’extrême il lui a été donné de voir se briser ce qui la rend impossible. Il faut pour cela un étrange amour. Qui n’est pas de ce monde. Et qui trace un chemin, une voie. Tangible aux sens de la foi. Étrange toucher de la résurrection qui s’inscrit dans le monde sans en être. Car il passe ce toucher d’Amour tel une caresse, une tendresse… qui nous redresse. Transfigurant, il nous met debout alors que nous sommes effondrés. Il nous met en marche alors que nous sommes paralysés. Il nous donne de vivre pleinement, cet étrange Amour, pour que nous ne tenions plus à nos impossibles.
Luc Ruedin sj
Chemin vers la vie © Beat Altenbach sj