«Tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle se casse» dit le proverbe. En effet, à s’exposer trop longtemps à une situation difficile, ambigüe, délicate, risquée, on finit par en subir les conséquences. Qui une fois ou l’autre n’a dû boire la coupe jusqu’à la lie et y laisser sa peau? Du stress au burn-out, du petit verre à l’alcoolisme, de la prise de risque inconsidérée à la mort, le pas est vite franchi. À trop vouloir tirer sur la corde, elle se rompt. À trop la distendre tout se rompt! Comment adopter l’attitude juste qui nous permet de promouvoir la vraie vie? Comment être rigoureux sans être rigide? Être souple sans être relâche?
Le vigneron le sait bien. Il faut du temps pour que le moût se décante. Décanter, c’est laisser se séparer par gravité un liquide des matières solides ou liquides qu’il contient en suspension et qu’on laisse déposer. On épure ce qui est mélangé pour clarifier ce que l’on veut garder. De même il faut souvent peser, soupeser, déposer et reprendre ses idées pour, après un temps de réflexion, mieux comprendre et saisir dans telle situation, la posture qui est la plus ajustée pour nous. L’accessoire et le futile apparaissent alors pour ce qu’ils sont: buée et vanité. L’important lui-même -ce qui nous tient à cœur- est distingué de l’essentiel -ce qui nous tient en vie!-. Grâce au temps qui s’écoule, apparaît peu à peu notre centre de gravité. Autant donné que conquis, il fait sourdre une vie ferme et fluide, une vie heureuse et joyeuse.
Laisser du temps au temps, c’est, dans l’attention et la vigilance, laisser se produire en nous ce processus de décantation. Souvent, Ignace se taisait. Attentif à la croissance spirituelle, il ne parlait qu’après avoir fait le tri entre l’essentiel, l’important et l’accessoire. S’il nous a transmis une pédagogie spirituelle qui porte aujourd’hui encore ses fruits, c’est bien qu’il a su à merveille décanter pour lui et les autres ce qui est utile à la vie.
Luc Ruedin sj
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