Est clos ce qui sert à obstruer le passage, à enclore un espace (définition du Petit Robert). Contrairement au sens courant, dans la vie spirituelle, la clôture n’est pas un emplacement fermé. Elle crée un espace intime qui ouvre notre horizon. Elle façonne un lieu où se vit la relation. Lieu et temps réservés pour la prière préservent l’écart par rapport au monde. Il est indispensable pour nourrir le lien vital qui nous rapporte au Christ.
Toute fréquentation a besoin d’un espace et d’un temps où elle peut se vivre. La relation au Christ n’y fait pas exception. Cependant, elle a ceci d’unique qu’elle nous ouvre de l’intérieur aux personnes rencontrées. Plus nous allons, plus nous vivons pleinement nos rencontres grâce à cet espace intérieur que donne la prière. Elle ouvre au plus profond et au plus vaste. Nos relations tissées dans la vie quotidienne prennent alors un autre poids, une autre densité. St-Augustin ne dit-il pas que le poids de l’âme est l’amour, échange gratuit qui est communion?
Nous le savons bien. Ni l’enfermement, ni l’ouverture à tous vents ne nous font croître. Qui s’enferme meurt. Qui sème à tous vents récolte la tempête. Des limites trop rigides tuent la vie. Sans frontières nous voici dans la confusion. N’est alors pas loin le spectre de la violence. Qui comme chacun le sait aussi est d’autant plus redoutable qu’elle n’est pas identifiable. Ce que dit bien la Genèse puisque le premier geste du Créateur est de séparer la lumière de la ténèbre.
Les moines le savent d’expérience. Ils préservent farouchement leur clôture. Un lieu clos pour le lien vital. Clos mais pas enfermé. Qui connaît des moines et des moniales ne le démentira pas. Informés, chaleureux, ouverts sur le monde, ils témoignent d’une étonnante proximité à ce que naïvement on leur croit lointain: l’autre, la vie, les soucis et joies du monde comme il va.
L’espace réservé ouvre donc à l’immense apparentant le priant au poète. Rilke n’écrit-il pas: «Aimez donc, cher Monsieur, votre solitude, et portez la douleur qu’elle vous cause avec une plainte de belle sonorité. Vos proches, dites-vous, sont lointains; c’est qu’autour de vous, du vaste se forme, atteint déjà aux étoiles, est immense; réjouissez-vous de votre croissance...» (R.M. Rilke, Lettre à un jeune poète, Le Livre de Poche, Paris, 1989). Croître spirituellement exige le respect de soi-même, demande le soin de l’âme. La solitude reliée distingue la clôture de l’enfermement. Elle hiérarchise les plans de l’être, pose les priorités et sait ainsi reconnaître l’essentiel du secondaire. Elle ose l’inattendu car elle connaît le sol dans lequel elle plonge ses racines. Elle n’est pas désorientée au moindre coup de théâtre.
La clôture chrétienne n’a de sens que si elle ouvre à la communion. Seul, au désert ou sur la montagne, Jésus puisait à la Source par sa relation au Père dans l’Esprit pour vivre toutes ses relations de la manière que l’on sait. Il est Le lieu ouvert où toutes nos relations se transforment et nous font passer de l’isolement à la communion, de la mort à la Vie.
Luc Ruedin sj
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