Fratelli Tutti «est l'un des textes relatifs aux questions sociales les plus importants de l'Église catholique», de l’avis de Pierre Martinot-Lagarde sj, conseillé pour les questions socio-religieuses auprès du Bureau international du travail (OIT) à Genève. Il décortique ci-dessous quelques notions-clés de la nouvelle encyclique du pape, un texte de près de 100 pages.
L'encyclique se présente comme une sorte de récapitulation de la pensée sociale du pape François. En tant que telle, elle ne comporte pas de "nouveautés" majeures, telles que celles qui figurent dans la précédente encyclique sociale Laudato si’. Fratelli tutti réaffirme un certain nombre de déclarations faites dans des discours qui n'avaient pas la même portée. En particulier, celles liées à l’abolition de la peine de mort et à la notion «erronée» de guerre juste, deux sujets abordés dans différents contextes.
En ce sens, Fratelli Tutti est un «document récapitulatif» de la pensée du pape déjà émise à différentes occasions et sous différents angles.
Dans ses discours, le pape François aime se référer à sa propre expérience. Deux dimensions particulières, essentielles à la compréhension du texte, ressortent ici clairement.
- Son expérience de la division et de la polarisation sociales (connue en Amérique latine) où l'Église elle-même alimente les tensions ou, du moins, n'est pas toujours en mesure d'apporter la paix sociale. Cela a notamment conduit François à lancer un grand rassemblement des "mouvements populaires". En abordant les défis sociaux, le pape met l'accent sur l'inégalité et la nécessité d'y remédier tant à l'intérieur des pays qu'entre les nations.
- Son expérience du dialogue interreligieux, avec notamment pour référence sa rencontre avec le grand imam d'Al-Azhar avec qui il conclut et signe, le 4 février 2019 à Abu Dhabi, un document sur la fraternité humaine, pour la paix dans le monde et la coexistence commune». Cette déclaration a conduit à ce que je pourrais qualifier de «véritable innovation»: le lien entre les deux concepts de fraternité et d'amitié sociale, clairement associés dans la nouvelle encyclique.
Ainsi, le dialogue interreligieux prend une dimension sociale, et cette dimension sociale est liée au contexte interreligieux.
Cela implique la lecture d’une nouvelle éthique pour le «dialogue social», où le Pape insiste sur des questions telles que l'équité, la vérité, l'engagement. La pratique du dialogue doit être développée dans ce sens à tous les niveaux, en commençant par le local, le national puis le mondial.
Le dialogue est considéré comme un processus dans lequel les exclus doivent être inclus (là aussi, le pape fait référence aux mouvements populaires). Je trouve cela particulièrement significatif, compte tenu de la pratique du dialogue interreligieux que nous avons développée autour de la notion de travail décent.
A ce propos, l'expression souvent utilisée par le pape est celle de travail digne. Dans Fratelli tutti, l'appel essentiel est de fournir des emplois et du travail à chacun. Il ne peut y avoir des personnes intégrées et des personnes non intégrées ou sans emploi. Dans un sens,
le travail apparaît comme un levier essentiel pour lutter contre les inégalités, bien plus fortement que le seul programme de protection sociale.
Bien que la protection sociale ne soit pas explicitement mentionnée, le texte fait souvent référence à la solidarité comme l'une des tâches des gouvernements et des organisations internationales. Cette dimension du travail comme vecteur de plus de solidarité et de justice est une dimension constante de l'enseignement social catholique, mais elle est ici fortement réaffirmée. Le travail est également considéré comme important pour l'intégration des migrants. Un appel est lancé pour mettre fin à la traite des êtres humains et au travail forcé.
Enfin, l'encyclique présente de longs développements sur la politique et le bien commun.
Le populisme et le libéralisme sont opposés comme deux extrêmes.
L'un des éléments essentiels est un plaidoyer en faveur du multilatéralisme. Le pape appelle à soutenir la réforme de l'ONU, bien que l’énoncé n’est pas très précis sauf quand il aborde et plaide pour un système plus de mordant et plus équitable. Je trouve cela plus intéressant lorsque l'on insiste sur la nécessité de faire prévaloir le dialogue entre les nations et sur l'importance de développer l'État de droit au niveau international.
Pierre Matinot-Lagarde sj
Vous trouverez ci-dessous le lien vers la version français de la «Lettre encyclique Fratell tutti du Saint-Père François sur la fraternité et 'l'amitié sociale».
Le texte est également disponible en arabe, espagnol, anglais, italien, polonais et portugais.